La curiosité

Je me suis longtemps demandé pourquoi la curiosité était considérée comme un défaut. Puis, repensant à tout ce dont je parlais ces derniers jours, je me suis rendu compte que la curiosité, comme tout ce qui est vraiment intéressant (et peut-être, plus simplement comme tout), était fondementalement ambivalente, polyvalente.

Ou peut-être : “pouvait être considérée” comme ça, car à la réflexion, l’ambivalence, dans ce cas, ne me paraît pas si marquée, sinon par une sorte d’abus de langage.

Il y a une curiosité – qui me paraît avoir bonne presse parmi les moralistes – qui est approfondissement : le savant prend sa pelle et il explore, plus profond, le champ de connaissances sur lesquel il se penchait déjà. Il creuse, creuse plus avant, pour maîtriser mieux sa discipline, pour en avoir un savoir plus intime et plus profond. Il est curieux, mais de ce qu’il connaissait déjà – attitude qui est certainement respectable et digne d’éloges mais qui ne relève pas à mes yeux de la curiosité.

Il y a, à l’autre extrémité du paysage, la curiosité décriée par la morale, qui est une curiosité de divertissement : on regarde ailleurs non pas parce qu’on est attiré en soi par le dehors mais parce que regarder ailleurs permet de fuir ce qu’on était en train de faire, de nous détourner du chemin qu’on était en train de tracer. Cette curiosité là, qui n’est guidée que par l’urgence de la fuite, le besoin du divertissement, ne me paraît pas non plus relever de la vraie curiosité.

Ce qui me paraît vraiment curiosité est quelque chose de très proche de ce que Simone Weil, à propos des études scolaires, appelle l’attention. C’est une sorte de vigilance, d’effort de l’esprit pour se tenir en alerte, en veille. C’est un chemin qui suit la lisière de la forêt et qui permet au promeneur de ressentir à la fois ce qui se passe au coeur des bois et ce qui arrive depuis la plaine. C’est un sentier sur la crête qui fait le pont entre deux mondes auxquels il tend d’être ouvert, même s’il n’y arrive pas toujours entièrement.

Bien que tournée en partie vers l’extérieur, cette curiosité est aussi approfondissement car c’est très souvent en regardant un peu sur le côté qu’on distingue le mieux les choses, en examinant au regard d’autre chose qu’on comprend le plus son propre sujet. Et bien que tournée vers l’intérieur, elle est également extériorisation car son moteur premier est la création de passerelles et de liens vers l’autre et les autres.

Et je ne vois pas en quoi cette curiosité là, qui est attention portée au monde, serait un défaut.

Aldor Écrit par :

7 Comments

  1. 4 août 2017
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    Je pensais en vous lisant à une autre forme de curiosité : la curiosité spontanée de l’enfance (que certains d’entre nous conservent parfois au coeur de leur vie d’adulte ^^), qui ne relève pour moi d’aucun effort pour se tenir en alerte, mais qui part de la capacité naturelle à s’émerveiller et à mobiliser son intérêt sur tout. Il y a le facteur de la nouveauté qui joue ici bien sûr, que l’on peut appeler la curiosité des premières fois, mais également pour moi un postulat tout aussi mobilisateur : le fait de ne rien tenir pour acquis, de ne pas considérer le monde comme définitivement stable et structuré. C’est un état de l’enfance à ses débuts, mais c’est aussi une curiosité que l’on peut cultiver adulte, comme un art du “pas de côté”. Difficile, mais toujours rafraîchissant… 🙂

    • 4 août 2017
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      Tout à fait d’accord avec vous. La découverte de l’autre et de l’environnement par rapport au ” moi “. Jeu ludique qu’on n’arrive pas à dissocier de la notion de travail qu’on retrouve chez l’artiste à l’âge adulte.

      • 5 août 2017
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        Oui. C’est un jeu mais qui se travaille… encore une délicieuse ambivalence.

    • 5 août 2017
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      Oui, Esther, vous avez tout à fait raison. Il y a de l’émerveillement dans cette curiosité qui ne considère rien pour acquis. Est-ce vraiment le même émerveillement que celui de l’enfance ? Peut-être. Ou peut-être pas. De cela, je ne suis pas certain. C’est surtout que ce pas de côté ne me paraît pas absolument spontané. Il se cultive, effectivement.

      • 5 août 2017
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        Sans doute pas le même émerveillement, Aldor. Et il se cultive oui, bien d’accord avec vous. Non pas d’ailleurs à mon avis pour dupliquer un état qui n’est plus, mais peut-être pour retrouver l’esprit de l’émerveillement : la capacité à s’étonner. Ce faisant on rejoint à la philosophie, qui n’a pas de secrets pour l’enfance 🙂

  2. Le monde est parfois tellement curieux qu’il est bon en effet de garder cette capacité d’attention ainsi que l’art du “pas de côté” enfantin..

    • 5 août 2017
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      Oui et non, Aline.

      Je crois que, pour l’essentiel, c’est notre curiosité qui rend le monde curieux. Notre capacité d’attention qui le rend interdisant et riche.

      Dans ce sens là plus que dans le sens contraire…

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