J’ai depuis quelques jours avec Célestine une conversation sur ce sentiment – émotion serait probablement plus approprié – que nous ressentons, lorsqu’on est enfant mais aussi quelquefois lorsqu’on est adulte, ce sentiment d’être agressé en nous-mêmes lorsqu’une critique est faite à une action que nous avons faite, un propos que nous avons tenu, un plat que nous avons préparé : “si tu m’aimais, tu ne dirais pas que mes crêpes ne sont pas bonnes” – comme ne m’avait pas tout à fait dit quelqu’un qui se reconnaîtra.
Cette impression vient peut-être en partie de notre propre propension à confondre dans un seul regard, un seul avis, un seul jugement, les êtres et leurs œuvres. Nous aimons aimer ce que font et disent les êtres que nous aimons ; nous sommes – à mauvais escient mais comme naturellement – enclins à ne pas aimer ce que font et disent les êtres que nous n’aimons pas.
Même si certaines personnes n’ont pas cette sorte de travers, il faut le plus souvent du temps, de la maturation et de la bouteille pour arriver à s’en défaire. Puis vient un temps (parfois) où l’on est devenu suffisamment sûr de soi, suffisamment mûr, suffisamment fort pour savoir délier, dans notre esprit, les êtres de leurs œuvres, les désenclaver l’un de l’autre, et savoir dire à ceux qu’on aime qu’on n’aime cependant pas ce qu’ils font. On arrive ainsi, par le chemin de la maturation, à cet endroit calme et fragile que rejoint également le chemin de l’humilité – je veux dire la capacité d’être objectif, de ne pas tenir compte de soi et de son propre intérêt : ce qui sort de notre bouche, alors, n’est guidé que par le souci de la vérité et non par l’émotion ou par l’affect. Nous disons ce que nous pensons, avec bienveillance et gentillesse, mais sans plus nous mentir à nous même par crainte de peiner l’autre.
Mais je me disais ce matin – comprenant enfin ce que depuis des années Katia me répète – que ce souci d’objectivité, cet idéal de parole vraie et déliée de l’affect, existe aussi, Ô combien ! dans l’autre sens. Kipling l’a très bien dit dans son célèbre poème (encore que, le relisant, je n’arrive pas à retrouver dans la belle traduction d’André Maurois le vers où figure cette idée) : il faut être capable aussi de recevoir les compliments faits à ses œuvres comme des compliments simplement faits à ses œuvres ; à ses oeuvres et non à soi, c’est-à-dire comme des compliments et non comme des paroles d’amour.
Et c’est encore plus difficile.
Tel est l’objet de l’enregistrement de ce dimanche.
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Pour y arriver, il faut tendre à l’équanimité, une égalité d’âme qui n’est pas ne rien ressentir mais être capable de recul. Je me suis nettement améliorée à ce sujet, mais j’ai encore des progrès à faire. Pour y arriver, en général, je me mets à la place de celui qui critique ou complimente et j’essaie de comprendre pourquoi ils le disent : impulsivité, fatigue, trait de caractère, besoin de reconnaissance, pure gentillesse ? Bref, essayer de comprendre la “motivation” de l’autre, c’est déjà apaiser sa réaction. Par exemple, j’ai compris que mon boss était impulsif et ce qu’il dit n’est pas nécessairement argent comptant. Bref, pour bien vivre critiques et compliments, il faut “essayer de se mettre à la place de l’autre”, de celui qui énonce.
L’équanimité. C’est peut-être cela. Mais je n’en suis pas absolument certain. Il faut tendre de ce côté mais peut-être aussi ne pas y arriver. L’absence totale de passion et d’émotion n’est pas mon idéal.
Très juste tout cela …
Tout à fait, c’est très difficile. Et c’est tout l’enjeu d’une vie entière, avant de dissocier les êtres et leurs « oeuvres » comme tu le dis très bien.
Nos blessures d’ego sont des freins puissants, jusqu’à ce qu’on les comprenne et qu’on les panse petit à petit…
Un long travail que j’ai entrepris. Une réparation des mailles trouées d’un filet de pêche.
Bisous cher Aldor.
Merci pour ta discrétion☺️
Bonsoir, Célestine,
Oh oui ! Que c’est difficile ! (Mais il est bon aussi, le premier choc passé, quand on a longtemps cru être arrivé au bout du chemin, que non, il y a encore de grandes montagnes à escalader eg bien des choses à apprendre.).
Bises, Célestine.
Très juste, Aldor! Parvenir à se détacher de l’objet que l’on a créé est très difficile… surtout quand on y a mis beaucoup d’amour!