Il n’y a pas mort d’homme

Last updated on 1 janvier 2018


 

Il n’y a pas mort d’homme

J’ai dû employer cette expression, deux ou trois fois, il y a bien longtemps, et on me la renvoie parfois aujourd’hui comme si elle résumait mon attitude face aux choses et notamment à mes propres fautes : une sorte de jésuitisme tout entier tourné vers ma disculpation puisque la gradation que j’établirais entre les fautes, les erreurs, les crimes, les combats, n’aurait pour finalité que de me permettre de penser que mes propres erreurs, mes propres irrégularités sont au bout du compte vénielles une fois mises au regard du grand océan du mal…

Mais la question au fond ainsi posée est intéressante. Car à chaque instant, nous devons effectivement choisir l’attitude à adopter vis-à-vis des choses, et la choisir notamment parmi deux attitudes contraires, dont chacune est respectable, honorable, défendable, l’une et l’autre pouvant cependant conduire à des comportements opposés :

  • La première attitude, qu’on peut baptiser “absolue”, et qui se retrouve dans l’expression “Qui vole un œuf vole un bœuf” insiste sur la continuité du monde, sur son absence de discrétion, au sens mathématique du terme : les choses forment un tout ; le mal, en particulier, forme un bloc ; et ce bloc est insécable : qui commence à entrer dans le mal y est déjà complètement. Le criminel devient criminel au premier crime ; la porte s’ouvre au premier entrebâillement et c’est à la première escapade qu’on quitte le droit chemin. Qui vole un œuf vole donc un bœuf parce qu’au bout du compte, l’entrée dans l’irrégularité est commise au premier pas.
  • La seconde attitude, qui se retrouve dans le “Il n’y a pas mort d’homme” dont je parlais au début, envisage les choses d’une façon tout à fait différente, d’un point de vue pragmatique, dans une perspective d’efficacité : il y a tellement de choses à faire, tellement de difficultés à affronter, tellement de combats  à mener que, si l’on veut avoir une chance d’en gagner certains, les plus importants, les plus impérieux, il faut choisir ses combats. Or, choisir ses combats, c’est en privilégier certains et en laisser tomber d’autres qu’on considère comme du menu fretin, qu’on s’épuiserait à poursuivre.

Chacune de ces deux attitudes a un sens ; chacune d’entre elles est défendable – et au bout du compte, chacune est certainement nécessaire, à un moment ou a un autre. C’est leur coexistence qui est utile et c’est dans la capacité de passer souplement de l’une à l’autre en fonction des circonstances, de ne pas se figer, de ne pas s’arc-bouter dans une idolâtrie de la fidélité, que réside la ligne de crête.


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