L’Enfer, souvent, est pavé de bonnes intentions.
Ainsi veut-on, lorsqu’on s’est trop longtemps laissé déborder par les émotions, apprendre à les refréner, à les encadrer, pour ne pas en être le jouet constant. Noble combat – même si j’en suis toujours sorti vaincu.
Mais il peut arriver que, dans cette entreprise, les choses aillent trop loin : on voulait ne plus être sensible comme la plume que le moindre souffle emporte mais voilà que, dans notre effort pour nous asseoir, nous centrer, nous stabiliser, nous sommes devenus de plomb. Nous voulions nous protéger mais cette protection s’est muée en muraille, en carapace, en donjon, en tour d’ivoire. Notre cœur, que nous voulions seulement rendre plus capable d’affronter le monde, s’est endurci.
On poursuivait le bel objectif de devenir capitaine de son âme mais le pendule est allé trop loin et on est progressivement devenu autre chose, le capitaine d’une âme réduite à soi-même, fermée aux autres et remplie d’orgueil de n’avoir besoin de personne pour frayer sa route, comme Brigitte Bardot, dans la chanson de Serge Gainsbourg.
L’endurcissement, c’est parfois, ou souvent, cela : on voulait atteindre le détachement et on est tombé dans l’indifférence. On voulait être moins sensible aux autres et on s’est refermé sur soi-même. Et l’amour meilleur qu’on voulait pouvoir apporter aux autres, on a simplement – et tristement – appris à s’en passer.
– « Et quand c’est difficile ? »
– « Quand c’est difficile, on ne se referme pas orgueilleusement ; on demande de l’aide à ceux qu’on aime. Peut-être ne pourront-ils pas nous aider mais peut-être le pourront-ils. Ils sont là pour recevoir nos dons et pour accueillir nos faiblesses. L’amour est échange. »
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Effectivement, réfréner ses emotions n’est pas le but du jeu mais plutôt les identifier pour mieux les accompagner et ainsi ne pas se laisser parasiter. Et tout cela pour mieux être disponible pour soi, certes, mais aussi pour les autres. Belle journée.
Comme la vie est belle avec ses coïncidences Aldor. Ce matin même je réfléchissais à ce thème. J’explique brièvement le contexte. Tous les matins je passe devant un jeune homme apparemment sans domicile qui fait la manche assis par terre, le matin quand je pars il est là, le soir quand je rentre il est toujours là, même lorsqu’il pleut ! Pour une raison ou une autre, je ne fais pas l’aumône en général, mais je tiens compte de la personne qui est assise là et je la salue en offrant mon sourire comme avec toute autre personne (c’est mieux que de tourner la tête ou de jeter une pièce dans l’indifférence pour me déculpabiliser. Je trouve en tout cas). Il y a quelques jours j’ai constaté que cette personne ne répondait plus à mes salutations (mon hypothèse est que puisque je ne donne pas d’argent, je ne suis pas digne d’obtenir une réponse, mais je peux me tromper.) Ayant remarqué cela, j’ai moi aussi décidé de ne plus « gaspiller » mon bonjour et mon sourire, et de passer indifférente comme beaucoup de personnes. Ce matin donc, je me suis fait la réflexion que dans cette situation je me suis « endurcie » comme vous dites. En effet cela me coûte de détourner le regard et d’ignorer cette personne devant qui je passe plusieurs fois par jour. Mais s’il ne fait pas cas de mes salutations, dois-je insister ? Il est des cas, me semble-t-il, où l’on est bien contraint malgré soi de se fermer pour ne pas souffrir, sans me référer à cette situation précise, cela serait exagéré. Bien à vous et belle journée.
Les émotions ont un rôle, elles ne sont pas là par hasard. Elles nous parlent. Le tout est de les écouter sans se laisser submerger, sans savoir ce qu’elles ont à dire. Si je suis triste, j’essaie d’écouter ma tristesse, pourquoi est elle là, à quoi me ramène t’elle ? Et je peux accepter cette tristesse, au même titre que je pourrai accepter la joie.
Dans ce monde normalisé, tout devrait être lisse et sans accroc. Je ne veux pas être lisse … Les émotions sont un cadeau que la vie nous offre.
Amitiés Aldor.
Cet article tombe bien. ça correspond bien à toutes les phases que j’ai traversées. Well done (et c’est tellement mieux quand c’est dit par quelqu’un d’autre !).
Maelstrom d’émotions.
Je dirais même bombardement d’émotions, de contre-émotions, de culpabilisations, d’interrogations, de malaises, de frustrations, de découragements, de peurs, de colères…
Les affres de l’hypersensible !
Bien sûr la théorie enjoint d’observer, repérer, nommer ces émotions. Ce qui serait facilité si, tels de bons élèves, celles-ci s’avançaient en rang, sages et ordonnées, au lieu de se précipiter en pagaille comme des oiseaux de proie sur un lapereau affolé.
Mais une fois nommées ces émotions, que faisons-nous ?
Que l’on tente de se raisonner, de les calmer, elles nous collent aux doigts comme des papiers adhésifs.
Elles sont étiquetées, certes ! On peut même cibler leurs origines, ou tout au moins leurs déclencheurs, les expliquer, les comprendre…
Et ensuite ?
Ensuite c’est encore de la théorie : on exprimerait posément son ressenti, son émotion à celui qui l’a déclenchée… On lui expliquerait calmement notre besoin…
Il ouvrirait de grands yeux surpris et désolés, nous comprendrait et ajusterait son attitude afin de répondre au plus vite à notre besoin…
C’est la théorie !
Dans la réalité l’autre a ses propres problèmes, frustrations, peurs, besoins… de reconnaissance, de valorisation, d’amour, de sens, de sécurité… Et il est bien rare qu’il renonce à ses stratégies instinctives et préférées – écrasement, critique, chantage émotionnel, mépris, domination, infantilisation, manipulation…- pour y répondre.
L’isolement, le repli sur soi ne sont pas les solutions, tout au plus, et ce n’est pas négligeable, des moments de respiration, un séjour de retour au calme… Le monde débusque toujours celui qui se terre et celui qui s’enferme emmure avec lui ses fragilités et donc ses émotions …
Il me semble que l’unique chemin est le recentrage sur le « Je suis », comme le « Je suis » de la Bible : Ehyeh Asher Ehyeh, « Je suis qui je suis ».
« Je suis »… Tel que je suis : moi, rien de plus, rien de moins.
Ce « Je suis » qui n’est ni critiquable, ni écrasable, ni méprisable, ni manipulable…
Une montagne est ce qu’elle est, un arbre est ce qu’il est.
La montagne peut être trop haute, trop froide, trop raide, trop désertique … pour nos besoins, mais elle est. C’est tout.
L’arbre peut ne pas répondre à nos critères d’arbre, mais il est tel qu’il est. C’est tout.
Personne ne songe à leur demander d’être autres qu’eux-mêmes.
Accueillons-nous tels que nous sommes ! Uniques et distincts. Avec tout ce que nous sommes… Entiers.
« Soyez les bienvenus chagrins qui passent, idées toutes faites, soyez les bienvenus nos rêves, nos impossibles, nos réjouissances, nos cruautés, nos ratés, nos arrangements, soyez les bienvenus nos curiosités, nos inavouables, nos étrangetés, notre ennui, notre rage, nos légèretés, notre fantaisie, notre honte, sois la bienvenue ma lassitude, et toi aussi mon inépuisable inquiétude. Toute notre superficie et toute notre profondeur.
Soyez les bienvenus nos douleurs, nos raideurs, nos paresses et nos abandons, nos découragements et nos ivresses, toutes nos petitesses et toute notre grandeur… »*
En étant entièrement accueillante à moi-même, j’accueillerai mes émotions comme des couleurs bienvenues pour vivre mon entièreté, mon « Je suis ».
Peut-être …
Lise
*Extrait : Marie-Laure Choplin « Un cœur sans rempart »
vœu pieux : que nos fêlures lumineuses nous préservent d’un tel endurcissement . Merci pour cet article en forme d’alerte bienveillante. Bonne soirée