De l’infinitude du monde

Il y avait l’autre jour sur LCP un débat sur la notion de frontières. Je ne l’ai pas entièrement regardé mais ai été frappé par l’idée, développée notamment par Rémy Rioux et Hélène Peskine, selon laquelle la crise écologique avait modifié notre rapport aux frontières en nous mettant face à la frontière absolue qu’est la terre, notre planète, notre maison commune.

En retraçant à plus grands traits encore cette histoire, on pourrait dire qu’il y a deux siècles, en épousant la révolution industrielle et les Lumières, l’homme a changé sa perception du monde, qu’il s’est mis à considérer comme une infinitude qui lui était donnée en héritage. La terre lui appartenait et ses ressources, tellement considérables qu’elles pouvaient être vues comme illimitées, étaient à lui.

Tandis que les frontières mises à l’ambition de l’homme semblaient disparaître, les frontières construites par les hommes s’amenuisaient. Même s’il y eut des retours en arrière et la naissance des nationalismes, le monde s’unifia : la colonisation fut un facteur – tragique – d’unification du monde, les guerres le furent aussi, et les échanges, et la naissance de ces ensembles continentaux dont les frontières dépassaient celles des Etats.

Puis l’homme s’arracha à la terre, fit ses premiers pas dans l’espace et pour la première fois découvrit le globe depuis une autre planète. Et avec cette nouvelle frontière que John Kennedy avait conçu comme un nouveau Far-West, le terrain d’une nouvelle expansion, il découvrit au contraire que le monde était fini et que, dans le vide de l’univers, existait pour lui comme pour toutes les espèces vivantes une frontière absolue et indépassable.

La prise de conscience écologique est née aussi de cela : les ressources ne sont pas plus illimitées que la terre ; elles sont finies, précieuses et fragiles comme l’est le monde, comme le sont les êtres, comme le sont les choses les plus simples et les plus essentielles : l’eau, l’air, la beauté et l’amour.

On pouvait penser qu’avec la prise de conscience de l’existence de cette frontière commune, unique à tous les êtres, absolue, les frontières élevées par les hommes poursuivraient leur désagrégation. C’est le contraire qui s’est produit. Les frontières se sont multipliées, et se sont érigées en murailles durcies dont les plus emblématiques sont le mur construit par les Etats-Unis face au Mexique et celui, pire encore peut-être car hypocrite et tartuffieux, que les Européens ont bâti, à force de milliards d’euros, sur les rivages sud et ouest de la Méditerranée, ces murs construits sur l’autre rive et conçus pour cacher les souffrances que nous ne saurions voir.

Mais de ces murailles lointaines dont nous nous entourons et dont parlions hier avec Olivier s’échappent parfois des rescapés qui se noient dans la mer et s’échouent sur nos côtes et que nous repoussons ou que nous enfermons.

Nul n’en voudra à nos dirigeants, en ces périodes de crise sociale, économique et morale, en ces moments d’angoisse de l’avenir et d’attentats terroristes, de vouloir momentanément modérer le rythme des révolutions qui nous attendent. Mais on ne peut indéfiniment éviter l’inévitable. Le jour viendra donc où nos hautes murailles craqueront et où le monde se rééquilibrera – comment pourrait-il en aller autrement ?

Ce jour, il faut le préparer et c’est tâche difficile. Mais c’est à cela que doit servir le répit que nous avons gagné par nos murailles. Ces murailles où viennent s’écraser les misères du monde.


Plusieurs missions de la NASA ont pris des photos de la terre s’élevant au dessus de la lune, dont celle qui figure en tête d’article. Nous y avons appris notre petitesse et notre grandeur.


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