Des regards qui ne s’échangent plus


Une des choses perturbantes  de ce confinement et du télétravail qui l’accompagne (et je sais, bien sûr, qu’il y en a de plus graves !) est la disparition, dans nos réunions de travail, des échanges de regards : soit on regarde notre interlocuteur, et il ne voit pas notre regard ; soit on regarde la caméra pour que lui-même puisse plonger son regard dans nos yeux mais c’est nous qui, alors, ne voyons plus son regard : les regards ne s’échangent plus ; ils se guettent incessamment ; et les marques de sincérité ne sont plus partagées.

C’est un phénomène qui rappelle celui déjà relevé pour la partie audiophonique des mêmes conférences : les besoins et limites de la bande passante font que celui qui parle ne peut entendre en direct les réactions – rires, soupirs, murmures – de son interlocuteur, ce qui transforme le prétendu dialogue en une succession pénible de monologues sourds d’où le feed-back a disparu.

De même pour l’échange des regards : nous nous rendons compte que cet échange, universellement partagé au sein du monde animal – de ce monde animal dont nous sommes une des créatures -, nous nous rendons compte que cet échange, qui, lors des rencontres réelles, dure peut-être quelques centièmes ou dixièmes de seconde – est ce qui noue vraiment la relation et qui la scelle.

Et  encore une fois nous constatons que c’est dans les choses les plus impalpables, les plus apparemment insignifiantes, que réside souvent le plus essentiel, ce sel sans lequel le monde perd sa saveur. 

Aldor Écrit par :

7 Comments

  1. celestine
    2 mai 2020
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    Ton dernier paragraphe dit tellement exactement ce que je dis dans mon dernier billet…Ça m’émeut, une telle synchronicité, même si c’est par l’intermédiaire d’un ordinateur, donc virtuel… 😉
    Bisous cher Aldor
    •.¸¸.•`•.¸¸✿

    • 2 mai 2020
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      Ahaha ! Mais c’est que tout ne passe pas par le regard. Il y a des choses qui passent ailleurs. Surtout celles que tous les humains sans doute ressentent même quand ils n’arrivent pas forcément à mettre précisément le doigt dessus.

      Bonne soirée aux bisous, Célestine.

  2. 3 mai 2020
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    En Extrême-Orient, Chine, Japon, Corée, Vietnam, c’est d’une impolitesse rare que de regarder trop longtemps quelqu’un dans les yeux, alors qu’en Occident, le regard parle… On décode ce que l’autre dit, mais on lit aussi dans le non-verbal (soupir d’exaspération, haussement d’épaules, clins d’oeil)…

    • 3 mai 2020
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      Ah, je ne savais pas et ne pensais pas qu’il y eut là une dimension culturelle.

      Merci !

      • 3 mai 2020
        Reply

        Oui, il y en a une, puisque le regard est perçu différemment selon le bout du monde où on vit.

  3. Hélas.

    Je fais partie du bureau d’un club associatif et, déjà avant le confinement, le président avait pris l’habitude de convoquer les réunions sur Skype… Plus pratique pour tout le monde et les vies de famille.
    Seulement, alors que nous avions déjà des problèmes de communication, ça n’a fait que dégrader des rapports entre les membres, déjà instables.
    J’avais demandé à ce que nous revenions à des réunions physiques, pour les éléments que tu évoques, avoir son interlocuteur en face et ainsi pouvoir croiser les regards et observer tous ces petits détails qui aident à la communication, sinon bienveillante, au moins respectueuse.
    Et puis, le confinement est arrivé… Maintenant, il parle même de faire l’AG du club en visioconférence, à la fin juin. Un beau gâchis.

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