Il y a, dans l’Evangile de Matthieu, cette parabole, dont parlait l’autre jour Olivier Bauer, sur les ouvriers de la onzième heure. C’est une parabole qui, comme celle de la brebis égarée ou de l’enfant prodigue, nous choque en première lecture car elle heurte notre sens enfantin de la justice : un maître, un matin, engage des journaliers pour travailler sa vigne et il leur promet une pièce d’argent. Et puis, comme il y a toujours du travail à faire et que des candidats se présentent, il en engage d’autres à la troisième, à la sixième, à la neuvième heure, et même presqu’à la fin de la journée, à la onzième heure.
Et puis, quand la journée est vraiment terminée et que le soleil se couche, à la douzième heure, il les rassemble pour les payer. Et voici qu’à chacun, quel qu’ait été son temps de travail, il donne une même pièce d’argent.
Les ouvriers de la première heure se rebiffent, lui disant qu’il est injuste : il donne la même chose à ceux qui ont travaillé douze heures et à ceux qui ont travaillé une heure ! Et il leur répond qu’ils n’ont aucune raison de se plaindre : à eux, qui ont travaillé toute la journée, il donne ce qu’il leur a promis ; ils ne sont pas lésés ; pour le reste, cela ne les regarde pas.
A la lecture, on partage d’abord l’indignation des ouvriers de la première heure. Et puis on comprend que quelque chose d’autre se joue, et que notre compréhension immédiate de ce qui est bien ou mal, fondée sur une conception un peu enfantine, mathématique, idolâtre, étriquée, du juste et de l’injuste, est peut-être, elle aussi, mesquine et fausse.
Et on repense à cette phrase, d’ailleurs très injuste en l’occurrence mais si juste sur le fond, lancée par Aglaé Epantchine au prince Mychkine, dans l’Idiot : “Vous n’avez pas de tendresse, vous n’avez que de la justice. Par conséquent vous êtes injuste.”.
On a tous ancré au fond de nous l’idée, le sentiment, de ce qui est juste et injuste, et le plus souvent ce sentiment nous est un bon guide. A condition toutefois de ne pas oublier que le juste n’est pas la valeur suprême, et que le bien peut lui être supérieur.
Et quand, tous autant que nous sommes, nous nous attachons à des calculs, à des règles, à des disciplines, en oubliant le sens qui leur donne vie et qui les légitime, nous devenons idolâtres et retombons dans une forme d’enfance, passant à côté de l’essentiel.
Des règles aussi, surtout de celles que nous nous sommes fixées, il faut, à chaque instant, savoir mourir pour renaître.
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Oui… Et on en viendrait à reprocher à Dieu sa largesse… Merci de cette improvisation et de me faire découvrir le blog d’Olivier Bauer !