Last updated on 21 janvier 2018
« Vous n’avez pas de tendressse, vous n’avez que de la justice. Par conséquent, vous êtes injuste. » dit – très injustement d’ailleurs, et elle le sait – Aglaé Epantchine au prince, dans l’Idiot.
C’est là une de ces phrases magiques qui marquent, de leur paradoxe, la réalité vibrante et ambivalente du monde : la vraie justice ne se trouve pas au bout de la justice mais un peu sur le côté et ceux qui croient être les plus justes au motif qu’ils sont parfaitement justes et équitables suivent souvent le chemin de l’injustice.
La justice n’est pas l’équité. Les choses sont trop ambiguës, et les mots de même pour qu’on puisse se fier à eux pour distinguer le vrai du faux, l’apparent du réel. Il y faut autre chose, qu’Aglaé appelle la tendresse, que les Chrétiens appellent l’amour et qu’on pourrait, d’une façon plus neutre, appeler la sympathie, l’empathie ou l’effort de compréhension. C’est ce déhanchement du corps penché vers l’autre avec attention et respect dont parle Michel Serres, dans La légende des Anges, quand il évoque le dialogue que nouent – et le mot dit bien ce qu’il veut dire – les êtres sensibles : n’être pas un mur mort et insensible mais un mouvement sensible et vivant, un lien, une relation.
La justice n’est pas ce travail, froid et distant, de géomètre, mesurant les temps alloués aux uns et aux autres et tenant une comptabilité exhaustive et rancunière des fautes et trébuchements. Elle n’est pas trébuchet ni balance mécanique pesant mécaniquement les êtres et leurs gestes. La Justice le sait bien qui en dépit de son signe, s’entoure de juges, d’hommes et de femmes, dont le rôle est justement de s’écarter de la loi, de distinguer ce que l’inspection des plateaux de la balance ne permet pas de voir, de dépasser le texte pour embrasser l’esprit.
L’équité n’est pas la justice. Mais une justice sans équité – une justice arbitraire ou inique – ne serait pas non plus une justice. Il y a, entre l’équité et la justice, une danse, un souffle, un on-ne-sait-quoi d’ineffable et de capital, qui est le mouvement même de l’esprit et de la vie.
C’est cela, la tendresse ; c’est cela, l’amour.
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[…] La sombre Nastassia Philipovna est un des deux principaux personnages féminins de L’idiot, de Dostoïevski, l’autre étant la lumineuse Aglaé Ivanovna. […]
[…] La littérature russe a su rendre cela. Le prince Mychkine, dans l’Idiot, de Dostoïevski, ne pratique pas la justice mais l’amour. Il ne donne pas à chacun selon son mérite ; il va au-delà ; il pratique l’amour. Et c’est aussi ce que veut dire, dans le même roman, parce qu’elle l’a compris au fond d’elle-même même si elle n’arrive pas à l’exprimer, Aglaé Epantchine : “Vous n’avez pas de tendresse, vous n’avez que de la justice. Par conséquent, vous êtes injuste…” […]
[…] ne sait rien de cette tendresse sans laquelle, comme le relève si justement Aglaé Epantchine, dans l’Idiot, de Dostoïevski, la justice devient injuste et la bienveillance quelque chose […]
[…] Et on repense à cette phrase, d’ailleurs très injuste en l’occurrence mais si juste sur le fond, lancée par Aglaé Epantchine au prince Mychkine, dans l’Idiot : Vous n’avez pas de tendresse, vous n’avez que de la justice. Par conséquent vous êtes injuste.”. […]