Entretenir


En dépit du fait que je ne suis plus tout à fait un enfant, je viens de réaliser ce que la sagesse populaire enseigne depuis longtemps mais que je n’avais jamais vraiment compris (à moins que je ne l’ai oublié) : les choses, même laissées dans un coin et inutilisées, s’abîment. Ma table, mon fer à repasser, ma cuisine, mon masque de plongée, mon saxophone, mes chaussures, même inutilisés ou soigneusement rangés, finissent par se tacher, se rouiller, par perdre leur couleur, leur souplesse, leur élasticité, par se couvrir de poussière et de temps : même inutilisées et mises à l’abri, les choses vieillissent.

Et pour maintenir les choses en leur état premier, ou du moins prolonger leur jeunesse, il faut agir, agir positivement en les frottant à l’huile de coude, en les nettoyant, en passant l’éponge et le chiffon, jour après jour, mois après mois, année après année. Les choses ne se maintiennent pas toutes seules en leur état d’origine ; il faut, pour cela, les entretenir, comme il faut aimer pour ne pas céder à la facilité, au vertige du mal.

Il ne suffit donc pas – et c’est une prise de conscience redoutable – d’être soigneux, poli et propre sur soi ; il ne suffit pas d’être délicat et, comme j’en parlais l’autre jour, respectueux. Face au grand flux de l’entropie, le respect ne suffit pas ; il faut agir, se remuer, pour combattre l’irréversible usure.

Simone Weil notait que la plante se distinguait de la pierre par son extraordinaire capacité à s’affranchir des lois de la pesanteur pour s’élever vers la lumière. L’amour, de la même manière, permet de s’affranchir du délabrement des sentiments pour les revivifier. C’est de l’usure, sinon inéluctable, des choses, que la vie permet de s’affranchir. Et au coeur des supernovas, des réactions nucléaires régénèrent la matière et l’univers. Tous unis dans cet effort de nettoyage et d’entretien du monde, dans cette lutte commune contre contre la terrible entropie, la grande et triste extinction des lumières.

 


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7 Comments

  1. 7 novembre 2020
    Reply

    Bonjour Aldor,
    J’aime beaucoup ton article il est très brillant, et c’est un excellent rappel…
    merci beaucoup, plein de sens, de sagesse et de lumière
    Bonne journée

    • 7 novembre 2020
      Reply

      Merci beaucoup Corinne !

      (Mais c’est beaucoup moins rêvant que ta maison de Bilbo !).

  2. 7 novembre 2020
    Reply

    C’est très beau et très jute ce que tu dis surtout si au delà des objets on le transpose à l’amitié et l’amour. Merci de ce bel article Aldor.

      • 7 novembre 2020
        Reply

        J’aime beaucoup ton article sur le vertige du mal auquel toujours j’essaie de ne pas le soumettre. On me dit souvent naïve et « bisounours ». En fait je le revendique parce que je vois toujours la faille en l’autre, cette faille qui le fait réagir avec colère ou agressivité. Alors oui je crois que je suis plutôt gentille 😉

  3. celestine
    8 novembre 2020
    Reply

    Oui, entretenir les choses, les maisons, les jardins, son propre corps, et la qualité de ses relations, tout cela est de la même eau.
    Faire le ménage est une façon d’entretenir aussi son jardin intérieur, ou son couple. Sa vie en deux mots.
    J’aime beaucoup ce billet, mais je me répète : tu es un esprit brillant.
    Bises admiratives
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 8 novembre 2020
      Reply

      Avec presque tout ce que tu écris, je suis d’accord .

      Et le reste est très gentil.

      Merci Celestine.

      Bises à toi aussi.

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