Last updated on 1 décembre 2020
Il est peu de choses aussi confortables, et dangereuses justement pour cela, que la bonne conscience : ce sentiment que nous avons parfois d’agir bien et d’être comme il faut ; d’être en règle et sans reproche.
Non pas le sentiment simple de joie ou de bonheur mais celui, plus alambiqué, de satisfaction ; non pas le plaisir immédiat d’être bien mais celui, réflexif, d’être un type ou une fille bien, de valoir quelque chose.
La bonne conscience se regarde et, au sortir de cette introspection, elle n’est pas mécontente ; elle se trouve pas mal.
Et dans cette bonne conscience, ce confort, cette absence de distance d’avec nous-mêmes, on s’endort paresseusement.
Peut-être est-ce là une des clés de ce passage si surprenant, si choquant, de la ligature d’Isaac, du presque sacrifice d’Isaac par son père Abraham : Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils unique, son fils chéri, Isaac ; et sans protester, sans un mot, sans plaider comme il l’avait fait pour les habitants de Sodome, Abraham s’exécute. Il part avec Isaac, dresse un bûcher, y attache son fils et sort son couteau.
A ce moment là, heureusement, un ange arrive qui arrête sa main. Mais en esprit, le crime est commis. C’est d’ailleurs ce que dit l’ange à Abraham : tu n’as pas épargné ton fils. Et pour cette raison, très paradoxalement, Abraham est béni, ainsi que sa descendance.
Abraham est béni parce qu’il s’est montré prêt à tuer son fils et parce qu’au moment de commettre l’irréparable, il a préféré suivre l’ordre inique de Dieu plutôt que d’écouter sa conscience, qui pourtant devait hurler !
Cette scène est incompréhensible et sa conclusion également. Ce pourquoi elle fait scandale et est débattue et rebattue depuis plus de deux mille ans : pourquoi Dieu demande-t-il cela à Abraham ? Pourquoi celui-ci accepte-t-il ? Pourquoi en est-il récompensé ?
Je me demande s’il n’y a pas un lien avec la conscience.
En suivant l’ordre qu’il a reçu au lieu d’écouter son coeur comme il aurait dû, Abraham acquiert une mauvaise conscience qu’il traînera toute sa vie et que traîneront avec lui tous ceux qui lisent ce passage. Fini le repos tranquille du patriarche ; voici venu le temps du remords, du doute et de l’éveil. Car c’est avec la mauvaise conscience, avec la conscience de la faute, de la Chute, que la distance avec soi-même et donc la vraie conscience se construit et devient attentive.
Dans l’Akedah (Aïd el-Kebir), Abraham acceptant de mal agir pour obéir à Dieu rejoue, en symétrique, la scène du Jardin d’Eden, cet épisode où s’accomplit la séparation primordiale d’avec la nature et soi-même qui fait l’humanité de l’homme.
… Le geste d’Abraham nous hante. J’aimerais qu’il ait été commis pour cela, pour nous interdire le repos de la paresseuse et bourgeoise bonne conscience, pour nous tenir en éveil, sur la corde raide de notre humanité. Mais je n’en suis pas sûr.
L’image de tête a été prise dans les Highlands. Des moutons pareils à celui qui, au dernier moment et heureusement, fut substitué à Isaac.
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