L’insuffisance du vice


La grande force du libéralisme – son élégance, comme on dit en mathématiques – est de ne préjuger en rien de la vertu des hommes et des femmes, et de fonder au contraire son espérance de progrès, sa marche vers la cité idéale, sur l’exploitation des vices et de l’égoïsme.

A rebours du socialisme, des théocraties ou de l’Etat de Robespierre qui exigent des citoyens qu’ils soient vertueux et qui, le cas échéant, les y forcent (c’est tout le problème !) le libéralisme n’a nullement besoin d’hommes et de femmes altruistes et vertueux puisque la construction du bien qu’il poursuit se nourrit de leur égoïsme et de leurs mauvais penchants, comme la rose du fumier.

Mais voilà : ça ne marche pas.

Ça ne marche pas parce que vient toujours un moment où les individus, quoique happés par la poursuite de leur intérêt singulier, choisissent de se réunir, de regarder un peu plus loin que leur bout de leur nez, de s’entraider. C’est ainsi que naissent les corporations, les syndicats, les partis, tous ces grains de sable qui, venant perturber le libre frottement des intérêts individuels, empêchent la mécanique de bien fonctionner.

Les plus libéraux des Libéraux voient dans ce phénomène une ruse de l’égoïsme, une rouerie ultime du vice : pour mieux avancer ses pions,  l’égoïsme se déguise en altruiste et fait croire que ses intérêts se confondent avec ceux des autres.

Mais on peut avoir une explication plus optimiste : ce qui cloche dans la vision libérale,  c’est la croyance au gré de laquelle tous les hommes seraient toujours mus par la recherche de leur propre intérêt. Car en fait non : il arrive aux pires égoïstes d’aimer, d’être altruistes, d’être émus et pleins de compassion. Le ver de l’altruisme est dans le fuit de l’égoïsme. Et vice-versa. Nous sommes vicieux mais insuffisamment comme nous sommes insuffisamment vertueux.

Le monde n’est ni tout blanc, ni tout noir. Il est gris et équivoque,  comme le ciel parisien de ce matin. C’est ce qui le rend si compliqué, irréductible aux théories manichéennes, passionnant et délicieux.

 

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. celestine
    20 décembre 2020
    Reply

    J’adore ta dernière phrase. Rien que pour elle, je suis heureuse d’avoir lu ton billet.
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

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