Sexe faible

Je me demande si l’on ne commet pas une erreur de perspective en considérant comme une longue progression ascendante la marche des femmes vers l’égalité, notamment civique. Je me demande si, plus que de l’histoire d’une longue ascension, il ne s’agit pas, pour les derniers siècles au moins, d’une chute brutale suivie d’une sorte de rattrapage.

Au XVIIè ou XVIIIè siècle, la question de la légitimité politique des femmes, de leur capacité à assumer et exercer des responsabilités politiques, y compris de premier plan, ne se pose tout simplement pas : la période et les périodes immédiatement antérieures abondent de femmes qui dirigent ou ont dirigé des États, de reines et d’impératrices, de régentes dans le cas français, qui ont directement et elles-mêmes régné. En Espagne, en Autriche, en Russie, en Angleterre, au Portugal, en Écosse, jamais personne n’a mis en doute la capacité des femmes à exercer ce pouvoir suprême et jamais personne n’a considéré que les règnes d’Elisabeth, de Marie-Thérèse ou de Catherine de Médicis avaient en quoi que ce soit souffert de la féminité de la souveraine. Et quand, en 1793, Marie-Antoinette est jugée, condamnée et guillotinée, ça n’est certes pas en tant qu’épouse assujettie à son roi de mari mais bien en tant que “la complice ou plutôt l’instigatrice de la plupart des crimes dont s’est rendu coupable ce dernier tyran de la France“.

Dans la littérature et l’imagerie de l’époque, dans les contes de Perrault, de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont ou de ceux recueillis un peu plus tard par les frères Grimm, les femmes peuvent être bonnes ou mauvaises, incarner le mal ou le bien, mais elles ne sont nullement des personnages de second plan, mièvres, falots ou inconsistants. Il est au contraire fréquent que, comme le signale Simone Weil lorsque elle étudie un de ces contes en hypokhâgne, elles incarnent la tempérance, la force d’âme et le courage.

Bref un hiatus assez incompréhensible existe entre le statut civil des femmes, considérées comme des mineures, des créatures assujetties au hommes, et leur rôle politique qui, dans les ordres et classes dominantes au moins, est loin d’être nul.

Et puis voilà qu’au tournant du siècle, ce hiatus se résoud avec l’immense progrès qu’est l’attribution du droit de vote aux hommes et l’immense héritage réactionnaire de la loi salique qu’est le refus de ce même droit aux femmes. Des siècles d’histoire sont effacés et on invente le sexe faible, cette fiction de femme un peu irresponsable, dominée par ses passions, facilement manipulable, et à qui l’on ne saurait par conséquent confier le droit de vote ; une sorte de créature flottante, une presque enfant, sur le modèle d’Emma Bovary.

Sans doute cette créature existait-elle déjà avant dans certains esprits. Mais c’est au XIXè siècle qu’elle s’impose vraiment, faisant oublier à toutes et tous qu’avant d’être réduites à la minorité civique, les femmes avaient été, dans ce domaine, et pendant des siècles, les égales des hommes.

Et c’est, depuis, un long travail de reconquête. Dans les droits et dans les esprits.

En illustration, un détail du tableau L’Araignée, de Nikolaos Gyzis, qu’on peut voir actuellement au Louvre dans le cadre de l’exposition Paris-Athènes.

Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. 2 décembre 2021
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    Mouif…les égales des hommes, non encore une fois je ne suis pas d’accord avec toi, cher Aldor…Certes il y a eu des reines, c’est à dire des femmes issues d’une caste dominante…Dans cette caste-là, effectivement, une femme peut avoir le pouvoir. Mais pour l’immense majorité des peuples, n’oublions pas que depuis des millénaires, les religions ( du moins les trois monothéistes) n’ont vraiment pas oeuvré dans le sens de l’égalité, c’est le moins que l’on puisse dire. La femme n’a qu’un rôle subalterne, elle est asservi à l’homme, elle est objetisée, elle sert de monnaie d’échange, elle représente la tentation, et c’est par elle que le malheur arrive…
    Alors bof, non, je n’y crois pas, à cette théorie selon laquelle ce ne serait que depuis un siècle ou deux que les problèmes d’égalité se posent. Même si quelques figures historiques peuvent le laisser penser …
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 2 décembre 2021
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      Je sais bien, Célestine, qu’il n’y avait pas, pour la grande masse, d’égalité réelle.

      Mais en dépit de cela (qui est certes très important), il n’y avait pas non plus de doute sur la capacité réelle des femmes à gouverner. Personne na jamais mis en cause, au nom de lzur sexe, la capacité des reines régnantes à gouverner comme on voit encore aujourd’hui souvent des hommes mettre en cause, du fait de leur sexe, la capacité de femmes à être ministre.

      Et de ce point de vue là (et seulement de ce point de vue là), je pense qu’il y a eu régression.

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