Le vertige du masculin

 Comment ne pas finir par éprouver le vertige, un malaise profond, devant le défilé sans fin de ces femmes, de ces enfants parfois, qui se plaignent d’avoir été abusées, contraintes, violées par des hommes ?

Quand les coupables (les accusés à tout le moins) étaient des individus que, du fond de nos préjugés, nous pouvions considérer comme des brutes épaisses, ou encore des hommes si riches ou si puissants qu’on pouvait les croire aveuglés et rendus fous par l’orgueil et l’hubris, il était encore possible de détourner les yeux et de croire que nous, les hommes, n’étions pas vraiment en cause. Mais là, le cercle se resserre ; il se referme autour de chacun d’entre nous. Hier, c’était ce professeur si distingué, ce membre si éminent de l’intelligentsia découvert pédophile ; et aujourd’hui ce ministre, si sympathique, si gentil, pris la main dans le sexe, ou plutôt accusé d’en avoir imposé la prise à des jeunes femmes.

Il devient difficile, à force, de considérer comme acquis que ça n’arriverait qu’aux autres, et de penser que ce n’est pas notre problème mais celui de quelques égarés.

Le plus fascinant, dans ce travail de dévoilement, c’est que les coupables tombent des nues. Ce ne sont pas des méchants faisant consciemment le mal et fuyant depuis toujours la justice des hommes et des femmes ; ce sont des hommes bien sous presque tous les rapports et qui n’ont nullement l’impression d’avoir abusé ou mal agi. “Quel est le problème ?” demandent-ils ou semblent-ils demander.

C’est dans cette tombée des nues que le bât, justement, blesse, parce qu’il vient se vriller dans la conscience de nombre d’entre nous – je veux dire : nous les hommes.

Je connais en effet cette réaction de surprise, cette incompréhension radicale devant le reproche voilé d’avoir insisté. Je le connais pour l’avoir vécu, et plus d’une fois, avec l’aimée. Rien de comparable, ni dans la relation, ni dans les actes, ni dans les circonstances, avec les faits dont je parlais avant – sauf sur ce point précis de l’incompréhension, née d’une perception différente de ce qu’est l’insistance.

Je crois qu’il y au fond de beaucoup d’entre nous l’idée que, les choses de l’amour exigeant toujours qu’un premier pas soit fait, la transgression y est nécessaire : il faut bien, à un moment, que la main ose toucher la main et que la bouche ose embrasser ; c’est dans ce courage aussi que l’amour se révèle. Mais de cette nécessité de l’audace, culturellement et peut-être génétiquement implantée, nous tirons l’idée voisine, mais dégradée et qui n’a rien à voir, de l’insistance : au courage qu’il a fallu pour le premier baiser se substituent alors la lourdeur et l’insistance, quand ce n’est pas beaucoup plus pire, quand ça n’est pas beaucoup plus grave, quand au courage ne se substitue pas le simple abus du fort sur le faible.

Que cela est terrible et que cela est triste.

La photo représente le coeur, charnel, d’une pivoine. Et ma voix s’entend mieux avec un casque.

Aldor Écrit par :

4 Comments

  1. 28 novembre 2021
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    En fait tout commence quand on se dit qu’une femme qui dit non peut penser autre chose que non. Si l’on se colle au premier degré, non c’est non. Et pour ce sujet, il n’y a pas d’autre degré acceptable. Les défenses viennent parler de « manque d’appréciation », histoire de remplacer le terme viol par icelui. Pour ma part, celui qui utilise ce terme sait qu’il est coupable. C’est même un aveu de culpabilité.
    Nous sommes troublés par la quantité des cas. N’est-ce pas la mise en évidence d’un machisme actif ?

    Merci pour partager ta réflexion et belle journée.

    • 29 novembre 2021
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      Oui, Régis : quand le Non est dit, il faut le respecter ; c’est la base.

  2. celestine
    28 novembre 2021
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    La première audace, en terme de séduction, se situe bien en amont du premier geste. Il s’agit de mettre en mots un désir, une envie. Des mots choisis, doux, beaux, révélant que le désir s’accompagne de respect pour la personne que l’on a en face de soi.
    Vous me plaisez. J’ai très envie de vous embrasser. Me laisseriez-vous caresser votre bras? Que diriez-vous si ma main s’égarait sous votre chemise ?
    A d’autres moments, les mots peuvent être remplacés par des regards, par cette tension que l’on sent monter en soi et qui nous pousse naturellement l’un vers l’autre.
    Tout se joue ( oui la séduction est avant tout un jeu) dans cette mise en place progressive de l’attirance. C’est la qu’il faut capter les signaux, et réaliser si la personne a réellement envie de passer à quelque chose de plus concret. De plus gestuel.
    La première audace, c’est de savoir qu’une personne n’est pas un objet que l’on prend, et qu’un non fait partie du jeu. On ne peut pas plaire à tout le monde. Finalement, les hommes qui prennent sans demander n’ont pas cette humilité : se prendre un râteau est tellement insupportable pour eux qu’ils préfèrent passer outre les signaux qui leur disent qu’ils sont en train de se planter. C’est ça qui est triste. C’est tellement plus jouissif d’être consentant. A moins d’être détraqué, et de ne pouvoir jouir que de la contrainte de l’autre.

    • 28 novembre 2021
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      Tu as raison, absolument raison, Célestine.

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