Zone de confort

“Sortir de sa zone de confort”, “Sortir de sa zone de confort”. Plus encore qu’il ne m’irrite, comme toute injonction répétée à tout bout de champ comme s’il s’agissait d’une évidence, cet appel me surprend : car qu’est-ce que cette zone de confort dont il est ici question ; et qui sont ces personnes qui, chanceuses (ou plutôt terriblement malheureuses, mortes avant l’heure), disposent d’une telle zone et avancent dans la vie sans crainte ni tremblement ?

Y en a-t-il vraiment, des gens à ce point assoupis dans le confort douillet d’un intérieur à la Vuillard ou à la Sempé, que la vie n’est pas pour eux une aventure ? Y en a-t-il qui, se levant le matin, voient dans la journée qui commence la répétition de celle de la veille ? Y en a-t-il qui, ayant des enfants, ne tremblent pas, de temps en temps, à la pensée des hasards du monde ? Y en a-t-il qui, aimant, ne craignent pas que vienne un jour l’usure des choses ?

De ma zone de confort je sors à chaque instant : chaque geste, chaque mot, chaque action, chaque compliment, chaque caresse, chaque critique, chaque regard, chaque : “Je t’aime” – aurait-il été mille et mille fois lancé, car la dernière est toujours la première.

Je plains les malheureux, les malheureuses prises dans leurs habitudes, leurs certitudes, leurs décisions, pour qui jamais rien ne varie et qui ont, comme d’une forte épice, besoin de pimenter leur vie d’aventure, de “sortir de leur zone de confort”. Ils n’ont pas compris que l’aventure la plus extraordinaire est celle qui, prenant place chaque jour, exige qu’on jette chaque jour sur le monde un oeil neuf, un œil lavé des souvenirs, que la zone de confort n’est pas dans le monde mais dans l’esprit qui le conçoit, qui croit le voir et se laisse aveugler par son conformisme.