Les êtres vivants ne deviennent pas ce qu’ils mangent ; ils l’assimilent, et l’utilisent pour rester eux eux-mêmes, pour se perpétuer dans l’être. C’est une chose extraordinaire, un des très nombreux et très merveilleux miracles de la vie, dont on ne peut que s’enthousiasmer pour peu qu’on y porte attention.
Étiquette : vie.
À chaque instant, la vie suscite de l’inédit, rendant caducs nos scénarios et créant de nouveaux possibles, qui n’avaient pas été envisagés. Les systèmes physiques et mécaniques ont des points de basculement au-delà desquels les règles changent ; chez les êtres vivants, chaque instant est point de basculement ouvrant sur l’inconnu.
Je crois que c’est pour son épaisseur, son hétérogénéité, son irréductible désordre, son mélange incessant de petites et grandes choses, de phénomènes célestes et de faits anecdotiques et ridicules ; pour son manque de sérieux et d’esprit de sérieux que la vie vaut d’être vécue.
Car quoi de plus extraordinaire, de plus profondément bouleversant que la prise de conscience de ce que les êtres autour de nous ne sont pas seulement des machines vouées à leur propre reproduction mais des sensibilités qui, comme nous, jouissent et jouent de la beauté des choses.
L’image des cimetières n’exprime pas ce que nous avons été mais ce que nous laissons. Et aussi choquant, voire scandaleux, que cela puisse paraître, c’est bien notre vieillesse que nous laissons en souvenir lorsque nous mourons vieux. Jeunes, beaux, forts et dynamiques, nous l’avons sans doute été ; mais dans un passé à jamais révolu et à jamais enfui, qui a déjà donné ce qu’il pouvait donner et n’a plus aucune réalité.
C’est étrange, comme nous aimons les choses (et peut-être les êtres) de façon limitée et temporaire, jamais de façon absolue et pérenne, sauf celles qui nous échappent. Vient toujours un moment où, à l’envie, au plaisir, au désir, succède l’ennui, la lassitude, quand ça n’est pas une sorte de dégoût.
Il y a un grand plaisir, une grande satisfaction, dans l’accomplissement des choses non pas simples, non pas courtes, non pas manuelles, mais rondes ; je veux dire : ces choses dont on peut faire le tour, qu’on peut commencer et achever, qu’on peut accomplir.
Il arrive que, quittant soudain l’insouciance qui nous permet de vivre, on prenne conscience de la fragilité des choses. Et un abîme s’ouvre alors sous nos pas.