C’est leur imperfection et leur usure que nous chérissons dans les choses qui nous sont chères : les entailles, les ébrèchements, les rayures, les bosses, tout ce passé riche mais encombrant, que nous aimons mais qui nous pèse. C’est lui que nous aimons incorporer dans les choses familières, dans ces memories que nous gardons auprès de nous, pour nous en débarrasser tout en les conservant et pouvoir, chaque jour, nous plonger dans le présent.
Étiquette : vie.
Je crois que c’est pour son épaisseur, son hétérogénéité, son irréductible désordre, son mélange incessant de petites et grandes choses, de phénomènes célestes et de faits anecdotiques et ridicules ; pour son manque de sérieux et d’esprit de sérieux que la vie vaut d’être vécue.
Car quoi de plus extraordinaire, de plus profondément bouleversant que la prise de conscience de ce que les êtres autour de nous ne sont pas seulement des machines vouées à leur propre reproduction mais des sensibilités qui, comme nous, jouissent et jouent de la beauté des choses.
L’image des cimetières n’exprime pas ce que nous avons été mais ce que nous laissons. Et aussi choquant, voire scandaleux, que cela puisse paraître, c’est bien notre vieillesse que nous laissons en souvenir lorsque nous mourons vieux. Jeunes, beaux, forts et dynamiques, nous l’avons sans doute été ; mais dans un passé à jamais révolu et à jamais enfui, qui a déjà donné ce qu’il pouvait donner et n’a plus aucune réalité.
C’est étrange, comme nous aimons les choses (et peut-être les êtres) de façon limitée et temporaire, jamais de façon absolue et pérenne, sauf celles qui nous échappent. Vient toujours un moment où, à l’envie, au plaisir, au désir, succède l’ennui, la lassitude, quand ça n’est pas une sorte de dégoût.
Il y a un grand plaisir, une grande satisfaction, dans l’accomplissement des choses non pas simples, non pas courtes, non pas manuelles, mais rondes ; je veux dire : ces choses dont on peut faire le tour, qu’on peut commencer et achever, qu’on peut accomplir.
Il arrive que, quittant soudain l’insouciance qui nous permet de vivre, on prenne conscience de la fragilité des choses. Et un abîme s’ouvre alors sous nos pas.
C’est très étrange, presque bouleversant, cette capacité que nous avons à oublier le temps qui passe, ou plutôt à vivre simultanément dans plusieurs temps qui se superposent, s’entremêlent, se croisent, faisant de nous des voyageurs.
L’aventure la plus extraordinaire est celle qui, prenant place chaque jour, exige qu’on jette chaque jour sur le monde un oeil neuf, un œil lavé des souvenirs, que la zone de confort n’est pas dans le monde mais dans l’esprit qui le conçoit, qui croit le voir et se laisse aveugler par son conformisme