Fuite

La rue Soufflot, un soir

Hier, au magasin, une cliente truande dans la queue, se fait remarquer par la caissière qui le lui reproche, bafouille une explication évidemment de mauvaise foi et finit par abandonner là son panier et par partir en bougonnant.

C’est souvent cela, la fuite. Pas toujours, évidemment, mais souvent quand même : non pas une manière de fuir le danger ou de mettre fin à une situation objectivement inextricable mais une fuite devant soi-même, devant la honte qu’on ressent vis-à-vis de ce qu’on a fait, dit, prétendu, honte qui nous pousse à tout laisser en plan pour ne pas avoir à supporter le regard des autres, le regard des autres sur ce qu’on sait être notre mensonge.

On pourrait agir autrement. On pourrait, au lieu de fuir et couper court, reconnaître qu’on a mal agi, renouer le dialogue et reprendre sa place parmi les autres ; mais il faudrait, pour cela, avoir moins d’orgueil, ou peut-être être prêt à reconnaître en soi des choses qu’on ne veut pas reconnaître car elles nous effraient. Alors on préfère fuir, faire taire le malaise qui est en nous et se rassurer soi-même d’un faux et terriblement triste : “Je n’ai pas de comptes à rendre“.

Je pense qu’aucune de celles, aucun de ceux qui, en leur for intérieur, prononcent ces paroles, n’y croit. Elles doivent bien sentir, bien savoir en leur tréfonds que c’est une autre fuite, un autre mensonge, qui rendra plus difficile encore les choses lorsqu’il faudra vraiment rendre les comptes, ne serait-ce qu’à sa conscience : on ne peut pas toujours fuir, on ne peut pas toujours se fuir ; on ne peut pas toujours mettre sur le dos des autres la blessure qu’on porte en nous et qui demeure dans notre fuite.

L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. 5 juin 2022
    Reply

    Reconnaître ses erreurs, ou ses bassesses, demande évidemment un courage, une sorte de grandeur d’âme. Mais si on a cette grandeur d’âme, s’abaisse-t-on à truander la queue à la caisse ? 😉
    Pour ce qui est de l’expression « je n’ai pas de comptes à rendre (à autrui)… » je nuancerais ton propos : elle peut dénoter simplement une estime de soi justifiée, et une prise de conscience de sa valeur personnelle. On n’a, à ce moment là, de comptes à rendre qu’à soi-même. Elle va de pair avec une conscience morale, évidemment. (Le fameux oeil de Caïn) Dans le cas contraire, on rejoindra l’exemple de ta cliente : quelqu’un qui ne se remet pas en question, et préfère fuir sa propre médiocrité, qui la rattrapera tôt ou tard.
    Bisous Aldor
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 6 juin 2022
      Reply

      Célestine, Chère Célestine,

      Qu’on considère ne pas avoir de comptes a rendre à telle ou telle personne, je le conçois.

      Mais il me semble que quand on pense : “je n’ai pas de comptes à rendre”, la visée est absolue et universelle.

      Et il me semble que, dans ce cas, même la légitime estime de soi ne justifie pas cet accès d’orgueil.

      Bises, Célestine.

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