Le corps qui se rebiffe : la colère

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“Pour moi, la colère est une flamme qui réchauffe ce qui se meurt dans la froideur du non-dit, une étincelle qui ranime ce qui gèle dans une société”, écrit Sophie Galabru dans l’introduction de son livre Le visage de nos colères.

La colère est la protestation de l’être face à la société, à l’Etat, à la collectivité, aux autres, à l’Autre, face à tous ceux qui ne le respectent pas.

La colère est sociale, seulement sociale. On ne se met en colère ni contre la nature, ni contre la fatalité ; seulement contre ceux qui, par leur manque d’attention et de considération, empiètent sur nous, nous écrasent, nous mentent, nous négligent ; manquent au respect, à la vérité, à l’honnêteté, à l’empathie que chaque être humain attend de son semblable ; et piétinent ainsi non seulement le lien social, amical, amoureux, mais notre humanité.

La colère est une révolte contre l’offense qui nous est faite ; mais aussi contre notre propension si bien ancrée à la laisser passer, à ne rien dire, par respect des convenances et crainte du lendemain. Elle est la réaction du corps non seulement à l’agression dont nous avons été victime mais à la tentation que nous pourrions avoir – qu’il nous soupçonne d’avoir – de ne pas moufter, de nous écraser.

La colère, c’est le corps qui se rebiffe. Non seulement contre l’agresseur ou l’agresseuse (car il y a aussi des agresseuses, j’en connais) mais contre l’attentisme perpétuel de la bienséance, de la bien-pensance et de la peur qui voudrait que nous endurions tout. Elle est l’intelligence du corps contre les ratiocinations débilitantes de la raison.

Intelligence car, comme le remarque justement Sophie Galabru, la colère n’est pas forcément aveugle. Elle peut au contraire être très fine mouche, approfondissant peu à peu, comprenant progressivement, de son propre mouvement, par son propre élan, les raisons de sa venue. La colère, parce qu’elle est explosive révèle et décape, mettant à nu tout ce que nous savions peut-être, devinions sans doute mais préférions ne pas voir, cette noirceur cachée sous le vernis.

Ou peut-être ne le savions-nous pas ; ou peut-être cela n’existait-il pas. Tant que la coupe n’est pas pleine, tant que la corde n’est pas trop tirée, le pire n’est jamais sûr. C’est la dernière goutte qui non seulement révèle mais crée le déséquilibre et le débordement parce qu’elle donne rétrospectivement son sens à ce qui peut-être n’en avait pas.

Mais la colère n’est pas le désespoir, elle n’est pas le chant du cygne des victimes ; elle est au contraire le cri de celles et ceux qui souhaitent ne pas être victimes, qui prétendent ne pas renoncer, qui entendent poursuivre, réintégrer ou accéder au dialogue qui leur a été refusé. Elle est un appel lancé au bourreau, au méchant, à l’agresseur ; le contraire d’une fuite ou d’une sidération ; l’espoir clamé d’un lendemain meilleur, une flamme, une étincelle.

L’image de tête est tirée du livre de Sophie Galabru ; les cigales sont de Porquerolles, où je suis.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 13 août 2022
    Reply

    Saine colère, soupape pour la cocotte minute de nos émotions…
    Mais c’est comme tout : il faut savoir la diriger, la contrôler, sinon elle nous emmène toujours trop loin.
    A l’irréparable. Et ensuite on regrette.
    Comme tous les autres sentiments, la colère est complexe.
    J’aime beaucoup ce que tu en dis.
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

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