Le refus de parvenir

Voie lactée aux cyprès dans la nuit porquerollaise

Dans un très joli petit livre intitulé Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Corinne Morel Darleux parle du “refus de parvenir”, ce refus individuel de prêter main-forte à l’injonction du toujours plus et du toujours plus haut, Non pas le refus de l’ambition, de l’effort, de la recherche du meilleur ou du plus accompli, lorsque ces mouvements émanent de nous-mêmes, de notre propre désir, qu’ils tendent au bonheur d’être soi ; mais le refus de cette propension à avoir plus, à gagner plus, à être plus fort que les autres, lorsqu’elle est un comportement aliéné, dicté par la société, qu’elle découle de cette avidité tant décriée par Katia, de ce mimétisme absurde qui conduit à vouloir non pas ce que l’on veut, mais ce que les autres veulent, ou du moins ce qu’ils ont.

Le refus de parvenir est une façon d’échapper à cette course sans fin, cette course destructrice qui non seulement nous pousse à consommer sans cesse, à consommer les ressources et le monde pour avoir le sentiment de vivre, mais nous détourne des plaisirs simples et presque gratuits que sont la promenade, l’écoute du chant des cigales, la lecture ou l’admiration éperdue du ciel nocturne, ce ciel bien souvent voilé par les lumières de la publicité.

L’autrice remarque justement à ce propos qu’au rebours de la pensée antique et classique, qui opposait l’otium au negotium, c’est-à-dire le loisir, gratuit, férié, désintéressé, aux affaires et au commerce, la société dans laquelle nous vivons a étroitement entremêlé les deux, au point de faire des loisirs un des puissants moteurs de l’économie post-industrielle, une des grandes causes du pillage et de la salissure du monde :

De panem en circenses, l’otium est devenu opium d’une fabrique de l’ignorance, rouage d’un système dans lequel le loisir n’est qu’une courte pause destinée à dépenser l’argent durement gagné le reste de l’année, et vient valider la place surplombante du travail, subi et salarié, comme repère central.

C’est pourquoi il faut refuser de parvenir, refuser de devenir un de ces parvenus ne cherchant qu’à se hisser au niveau ou au-dessus des autres ; trouver en soi le courage de résister, de refuser cette course moutonnière qui nous entraîne, nous laisse toujours haletants, envieux, insatisfaits ; et participe au malheur du monde.

Et à ceux qui seraient tentés, comme je l’ai été, de rétorquer qu’il s’agit là d’un luxe de riche, d’une délicatesse que ne peuvent se payer que ceux qui en ont les moyens, je dirais qu’il faut prendre conscience de la maliginité de notre mauvaise foi, qui sait si bien se draper dans les oripeaux d’une condescendance plus hypocrite que généreuse pour nous conduire à ne rien faire et à ne rien changer.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 16 décembre 2022
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