Parler pour ne rien faire, agir pour ne rien dire

On peut parler pour ne rien dire ; mais on peut également parler pour ne rien faire. Comme on peut agir pour ne rien faire, en s’agitant dans tous les sens sans ne rien produire d’utile ; mais aussi agir pour ne rien dire, en court-circuitant le cheminement habituel de la pensée et des mots pour s’engager directement dans l’action.

La meilleure situation est celle dans laquelle le faire et le dire vont d’un même pas : on fait ce qu’on dit mais on dit aussi ce qu’on fait, pour éclairer son action, qui parfois n’est pas immédiatement compréhensible. Mais dans l’hypothèse ou les deux sont disjoints, mieux vaut effectivement faire sans dire que dire sans faire : l’action a tout de même plus de valeur, demande plus d’engagement et de courage que le verbe. Le verbe, toutefois, n’est pas que du vent ; ou peut-être n’est-il que du vent mais de ces vents qui font tourner les moulins et ont un réel pouvoir, quoique limité. C’est pourquoi d’ailleurs on peut s’y laisser prendre : on peut, en toute honnêteté, penser qu’à force de parler, on arrivera à convaincre ; et qu’à force de convaincre, on arrivera à changer le monde.

Il y a incontestablement quelque chose de vrai dans cette croyance en le pouvoir de la parole ; mais aussi une illusion, qui rappelle cette illusion du savoir si répandue en ce début de siècle : l’illusion qu’il suffirait de connaître les éléments constitutifs du réchauffement climatique ou, plus graves encore, ceux de l’effondrement de la biodiversité, pour ralentir la tendance ou l’inverser. Alors que non, évidemment non : il ne suffit pas de savoir, même parfaitement, pour agir, et encore moins pour agir dans le bon sens. Ni le dire ni le savoir ne sont performatifs, pour employer ce mot récemment appris.

Le contraire n’est pas vrai non plus. Si Dersou Ouzala, taiseux et taciturne, agit et agit bien, il ne suffit pas de se taire pour agir et tout silence n’est pas action.

Mais les mots répétés, ces déclarations solennelles qui ne conduisent à rien, ces grands discours qui demeurent lettre morte, ces paroles d’engagement qui deviennent litanies, se muent peu à peu en étouffoir : l’agonie de la planète finit par disparaître sous la montagne de mots dont on la recouvre et dont on finit par se payer, en monnaie de ces singes qui continuent à disparaître dans l’inaction de nos propos.

Pour agir, il faut quelque chose de plus :

Agir, c’est à chaque minute dégager de l’enchevêtrement des faits et des circonstances la question simple qu’on peut résoudre à cet instant-là.”, écrivait Bernard Grasset.

C’est ce dégagement qui nous manque encore.

Aldor Écrit par :

5 Comments

  1. 8 décembre 2022
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    Je dois avouer quelque-chose.
    Je crois que c’est la première fois que j’écoute et que je ne lis pas l’article.

    Hé bien, c’est tellement mieux avec une voix ! Surtout aussi douce !

    Ton article, est une belle réflexion.
    Je n’ai pas plus à dire, en réalité.

    Très bonne journée !

    • 8 décembre 2022
      Reply

      Merci Ravens. 😊

      Toutefois, dans ces Improvisations, l’article est inspiré par ce que j’ai improviséen parlant, mais seulement inspiré. Du coup, il en diffère.

      • 8 décembre 2022
        Reply

        Ohhh.
        Va falloir que je lise alors 😁.

        Poursuis. C’est toujours très agréable comme lecture et comme écoute. (Ça doit pas être un exercice facile)

        • 9 décembre 2022
          Reply

          Merci Ravens,

          Le plus difficile est de ralentir le flux. Ordinairement, quand je parle, j’avale la moitié de mes mots. J’essaie ici de bien articuler.

  2. 9 décembre 2022
    Reply

    Après une telle lecture, on a envie de se mettre à l’action !
    Merci.

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