Androcène ?

Peinturlurage sur un tweet de @IranianPlateau

En Afghanistan, les Talibans réalisent le rêve des pornographes : réduire les femmes à leur corps, leur corps à leur sexe ; et interdire ce qui sort de ce rôle.

Au même moment, dans d’autres lieux, le monde continue à être exploité, dévasté, sali par la recherche de ressources, la production de choses, la pollution de l’air, des eaux, du sol, la volonté d’accumulation et de puissance.

Dans un intéressant petit livre intitulé Par delà l’androcène, Adélaïde Bon, Sandrine Roudaut et Sandrine Rousseau (la tant décriée) lient les deux phénomènes. Elles considèrent l’exploitation du monde comme une dérivée de la conception machiste,  patriarcale du monde ; et c’est pourquoi elles préfèrent au terme d’anthropocène, qui décrit la domination du monde par l’espèce humaine, celui d’androcène, qui marque la domination des hommes, par opposition aux femmes, la domination des mâles.

La thèse, à laquelle renvoie le terme d’anthropocène, selon laquelle l’espèce humaine détruirait la planète par nature, les histoires de Chute et d’Epiméthée, sont attrayantes mais très déculpabilisantes : nous souillons le monde mais nous n’y pouvons rien ; c’est inscrit dans nos gènes. L’idée d’androcène pointe le fait que ce n’est peut-être pas l’espèce humaine en tant que telle qui est en cause mais quelque chose en son sein, qui peut être maîtrisé.

Ce quelque chose, pour les autrices, c’est la vision machiste de la force, du rapt, de la violence, de l’exploitation, de l’appropriation des choses et des êtres, toute cette conception du monde qui, depuis des millénaires, dirige nos civilisations occidentales.

Je suis pour partie d’accord avec elles. Mais pas entièrement.

Parmi les héros qui personnifient cette conception dominatrice du monde, il y a notamment deux personnages féminins : la très puissante et très séduisante Dagny Taggart, superbe héroïne de La grève, de Ayn Rand ; et Dame Eboshi, la lumineuse et très gracieuse maîtresse des forges de Princesse Mononoké, de Hayao Miyazaki.

Ce qui se dévoile notamment à travers ces deux héroïnes (mais déjà, en fait, dans le héros archétypal qu’est Prométhée), c’est le fait qu’au début du moins, le monde est rarement exploité par simple désir de destruction ou vil appât du gain : on abat les arbres et on forge de l’acier pour se protéger, s’abriter, défendre la veuve et l’orphelin, améliorer la vie de tous. Ce n’est pas par volonté de puissance que Prométhée vole le feu aux dieux ; c’est pour libérer les humains.

Quelque chose ensuite se casse ; l’hubris arrive et rend la machine folle. Mais c’est la cause de ce déraillement-là qu’il faut débusquer ; pas le geste de Prométhée lui-même à qui il faut rendre grâce.

Il y a peut-être effectivement un lien entre la conception pornographique, réductrice, que les Talibans ont des femmes et la conception pornographique, utilitariste, également réductrice que certaines et certains d’entre nous ont du monde. Mais ça n’est pas fondamentalement une affaire de sexe ; plutôt, comme le proposent d’ailleurs les autrices, une affaire de refus (qui est culturellement sexué) de ses émotions, d’angoisse vis-à-vis de ce qui n’est pas contrôlé, un besoin irrépressible de mettre le monde et les autres dans des cases dont on se sent maîtresse.

Aldor Écrit par :

Soyez le premier à commenter

    Laisser un commentaire

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.