Dialoguer

Coquelicots sur un mur à La Réole

“J’écoute et j’obéis”, disent, dans les Contes des mille et une nuits, les serviteurs, les génies, et tous ceux qui veulent se rendre aimables à leur interlocuteur.

Les loups, quant à eux, observe Baptiste Morizot dans Manières d’être vivant, agissent autrement. Ils écoutent mais n’obéissent pas, ou plutôt obéissent et réagissent librement, différemment en tous les cas de ce qui était attendu : ils marquent leur intérêt et leur attention à la parole qui leur est adressée, signifient qu’ils l’ont entendue, mais y répondent sans se mouler dans la façon d’être escomptée.

J’en connais qui ne supportent pas d’être écoutées sans être obéies, qui ne conçoivent même pas la chose, considérant que qui ne leur obéit pas ne les a probablement pas écoutées. Elles (et ils) sont certaines de la vocation performative de leur mots et n’imaginent pas qu’on puisse entendre sans ne pas faire.

Il y a pourtant, dans cette facon lupine et déplacée de réagir, une prise de liberté qui est peut-être nécessaire à l’élaboration d’un dialogue vrai – je veux dire d’un dialogue qui avance plutôt que de tourner en rond.

Il est toujours difficile, lorsqu’on mène une discussion, de laisser dans sa poche sans les utiliser des idées et arguments qu’on avait préparés et prévu d’asséner, qui étaient peut-être justes et brillants lorsqu’ils avaient été conçus mais qui, au fil du débat, perdent leur pertinence et leur actualité parce qu’on est passé à autre chose et que ce n’est plus vraiment le sujet. Il est toujours pénible de les abandonner sur le chemin, de faire le deuil de ces observations subtiles dont on était si fier mais qui sont désormais hors de propos.

Et pourtant, la blessure de la vanité une fois cicatrisée, on se rend compte que c’est précisément dans l’acceptation du mouvement propre de la discussion, et donc dans l’abandon de nos arguments premiers, que le progrès de la réflexion et la qualité de l’échange résident. Celles et ceux qui refusent cette avancée et qui indéfiniment reviennent à leur argument de départ, se vantant même de cette invariabilité, ceux-là sont comme ces idolâtres que dénonçait Jaurès, qui par incompréhension de l’esprit du fleuve, s’enchaînent à la source au lieu d’en épouser le flux et de descendre vers la mer.

Dialoguer, comme aimer, comme marcher, comme vivre, c’est incessamment changer de position, aller de déséquilibre en déséquilibre, de découvertes en oublis, dans une dynamique toujours revivifiée, une reconstruction et une remise en question permanentes. Ceux qui restent figés dans leurs certitudes initiales et se montrent incapables d’embrasser le mouvement, ceux-là croient sans doute être fidèles aux idées mais ils ne le sont le plus souvent qu’à leur vanité, quand ce n’est pas à leur orgueil.


Un des plaisirs des coquelicots, comme des fleurs, comme de la nature en general, est leur caractère éphémère. On aime les coquelicots aussi pour leur disparition (et leur retour).


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