La retenue et la grâce

La grâce est mystérieuse, à tout le moins discrète. Elle laisse enchantés ceux qu’elle touche de ses ailes légères mais n’a pas l’exubérance solaire et communicative de la joie ; elle agit doucement, en harmonie avec elle-même.

La grâce est compagne de l’élégance. Toutes deux ont partie liée avec la retenue, la pudeur, l’euphémisme, l’understatement : ne pas aller jusqu’au bout de sa victoire, de son geste, de sa faim, de sa colère, de son raisonnement : ne pas se laisser aller mais laisser, toujours, une place au vide, à l’inachevé, à la tension, à l’inaccomplissement, pour permettre au rêve et aux autres, à la vie, de poursuivre l’histoire, pour laisser ouverte la porte à ce que nous ne contrôlons pas.

Le geste arrêté des danseuses, qui ne laissent pas leurs bras retomber lourdement mais les maintiennent haut levés, prémices et promesse d’une courbe à venir, est le contraire de la goinfrerie jusqu’au-boutiste des parents de Chihiro. Il manifeste la vertu de patience et de renoncement, la maîtrise de son corps, de son esprit, de son destin.

(Parenthèse : Vertu plus féminine que masculine, observe Péguy dans Ève. Non que les femmes y soient intrinsèquement plus douées mais parce que les hommes (comme les autres grands singes mâles) attachent à cette aptitude une plus grande importance que les femmes et que, génération après génération, la sélection naturo-culturelle a fait son oeuvre. Sans doute la patience et la grâce sont-elles également appréciées par les femmes et les autres hominidés femelles mais moins que d’autres aptitudes (la babouinerie de Solal), qui sont donc privilégiées par la même sélection. Dans un cas comme dans l’autre au demeurant, des vertus diverses, et le plus souvent antagonistes, sont simultanément recherchées, ce qui ouvre large la voie aux malentendus et désillusions de l’amour. Honnies soient celles et ceux qui prétendent mensongèrement n’avoir que des désirs univoques !)

Dans l’arrêt de la main et dans la retenue, quelque chose peut naître, qui n’était ni nécessaire, ni attendu. Et c’est ainsi que paraît l’autre grâce : dans le vide et le silence volontairement laissés, dans l’attente qui se répand, l’altérité, la création, le divin, peuvent advenir, en une répétition du Tsimtsoum initial.

Aldor Écrit par :

3 Comments

  1. Faute de grâce ou de souplesse, nous pouvons tous et toutes travailler la fluidité du geste, du mouvement …
    Merci, Aldor.

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