Tristes humains

Un pochoir de la regrettée Miss Tic

Reprenant une réflexion de Simone de Beauvoir, Lucie Azéma observe, dans Les femmes aussi sont du voyage, que c’est uniquement quand elles sont seules dans la nature que les femmes font l’expérience d’une humanité non sexuée. Le reste du temps, dans leur vie quotidienne, elles sont considérées comme des femmes, comme des femmes plus que comme des humains.

Elle a tout à fait raison : en société, qui est le mode de vie habituel de notre espèce, les femmes sont, sauf circonstances particulières, perçues d’abord comme des femmes ; et il en va de même, symétriquement, des hommes. C’est normal : les humains ont développé, au sein du monde animal, une sexualité très particulière, continue et ludique, qui différencie radicalement les rapports entre mâles et femelles humains des rapports entre mâles et femelles des autres espèces. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles on parle d’hommes et de femmes, les uns et les autres se définissant et se différenciant non seulement par leurs caractéristiques proprement sexuelles mais aussi et surtout par toute une construction sociale et culturelle venue enrichir, complexifier et surdéterminer la différenciation naturelle initiale.

Cette différenciation peut prendre des formes très diverses et même inverses d’un groupe ou d’une époque à l’autre ; mais elle est toujours là, fondamentale, au coeur de nos sociétés. Le hiatus féminin-masculin structure nos vies, nos façons d’être, nos désirs, notre apparence, nos amitiés, nos amours : nous ne nous comportons pas avec les femmes comme nous nous comportons avec les hommes ; nous n’attendons pas de ceux-ci ce que nous attendons de celles-là, et cela qu’on soit homme, femme, ou qu’on ne se reconnaisse ni dans l’un ni dans l’autre.

Des millions d’années d’évolution ont conduit à une différenciation de plus en plus marquée, la sélection naturo-culturelle privilégiant, dans chaque sexe, les traits et comportements les plus communément recherchés par les individus de l’autre sexe. C’est ainsi que se sont forgés les stéréotypes, qui ne sont pour partie que les projections des désirs, désirs qui pour partie sont autoréalisateurs. C’est ainsi que les hommes deviennent de plus en plus grands, portés sans doute par une meilleure nourriture mais aussi par la plus grande capacité des hommes grands à se reproduire.

En société, nous sommes donc d’abord des hommes ou d’abord des femmes. Et la longue danse du féminin et du masculin ne serait-elle pas gâchée, rendu pénible et parfois terrible par ces relous, le plus souvent des hommes, qui y introduisent de la violence et de l’abus que ce jeu, où chacun tente à la fois de se fondre dans le modèle et de s’en distinguer, serait délicieux.

Je ne comprends pas bien ces hommes et ces femmes qui, à l’incroyable richesse de la dualité hommes-femmes, préfèrent la platitude indifférenciée de l’humain ; ces humains qui militent pour plus de mixité, tout en prétendant qu’hommes et femmes sont strictement identiques ; ces hommes et ces femmes tellement imbues de patriarcat qu’elles ne valorisent que les attributs prêtés aux hommes.

J’éprouve, quant à moi, dans la dualité des sexes, dans le fait d’être vu comme un homme (tout en dérogeant à tant de critères du masculin), dans la difficulté du dialogue avec Katia, une immense joie. Que, sans cela, la vie serait maussade !


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