Au coeur des ténèbres

À l’église Saint-Louis de la Salpêtrière, à Paris

J’ai beau en avoir connu d’autres, je reste toujours ébahi par l’annonce des atrocités commises par mes semblables. Ainsi ces massacres récemment perpétrés en Ouganda contre des dizaines de lycéennes et lycéens, brûlés vifs et tuées à coups de couteau.

Je sais bien que cela se fait depuis toujours et partout ; je connais la fin du siège de Béziers par les Croisés, la Saint-Barthélemy, la Shoah, la répression de Madagascar, le génocide des Tutsis, tous ces épisodes de barbarie où l’on voit se déchaîner une terreur réfléchie, une haine dépassionnée et d’autant plus terrible ; j’ai lu Le coeur des ténèbres, Les Bienveillantes et ai vu Apocalypse now.

Mais tout de même, à chaque fois, quelle stupéfaction, quel vertige, quelle honte aussi ! Car, puisque ces hommes l’ont fait, j’aurais pu le faire également. Or comment peut-on commettre cela ? Comment peut-on tomber dans une telle dépravation ?

Je sais bien que, de façon plus indirecte, peut-être moins flagrante, nous prêtons tous la main à des violences et à des dominations : les métaux de nos appareils, les fils de nos vêtements sont extraits, fondus et tissés par des des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent, qui sont exploités, qui sont souvent réduits en esclavage. Et notre nourriture elle-même provient souvent de la destruction d’espaces naturels, du massacre ou de l’asservissement d’espèces animales chosifiées et réduites à l’état de ressources.

Sans doute ces diverses violences diffèrent-elles les unes des autres et choquent-elles différemment notre sensibilité. Elles ne sont pas, c’est vrai, totalement identiques. Mais on ne peut pas non plus considérer qu’elles n’aient rien à voir les unes avec les autres, qu’il n’y ait rien de commun entre elles. Notre mode de vie est intrinsèquement prédateur ; nous sommes, en cela, complices consentantes de bien des violences du monde ; et si cette violence est le plus souvent tournée vers d’autres êtres, nos semblables la subissent aussi. Et sans aller jusqu’aux massacres évoqués au début, il suffit de se souvenir de tous les incestes, de tous les féminicides commis dans nos sociétés pour saisir l’étendue de la plaie.

Je me demande, parfois, si l’on ne prend pas les choses à l’envers. S’il n’est pas déraisonnable d’imaginer qu’on puisse, avant d’avoir éradiqué en nous cette violence, bâtir une nouvelle alliance ? S’il n’est pas illusoire de songer s’attaquer au réchauffement climatique, à l’effondrement de la biodiversité, à la salissure du monde sans être d’abord allés au cœur des ténèbres pour reconnaître le colonel Kurtz que chacun d’entre nous a en lui ?


En accompagnement musical, The End, des Doors.

Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. […] laisse se noyer en Méditerranée, ni les populations qu’on laisse être exploitées, ni les massacres de lycéens en Ouganda, ni les famines, guerres et exils qui se propagent un peu partout, ni les exactions commises par […]

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