Le temps des ratatouilles

Les vacances d’été sont cet heureux temps où, quittant la ville compliquée, nous embrassons une vie simple, à l’image de la ratatouille dont, pendant quelques semaines, nous nous nourrissons, ainsi que de soleil, de nuits étoilées, de longues marches et d’horizons lointains.

Puis vient le temps de la rentrée.

Étant enfant, mes derniers jours de vacances prenaient place invariablement dans le Roussillon, du côté d’Argelès. Il y avait la mer et le soleil, la nuit passée à Notre-Dame du Château, les pique-nique chantants au Bois de Pins, les promenades à Collioure et puis, en ces jours tardifs où nous rendions enfin visite au Palais des rois de Majorque, l’orage, la pluie battante d’où naissaient des torrents, ce grand déchirement du ciel sans lequel cette fin d’été n’aurait pas eu sa vraie saveur.

Je l’attendais, cette pluie, ce brusque et violent débordement qui, inondant soudain nos joues et nos corps, nous obligeait à quitter nos frusques d’été pour nous couvrir de vrais vêtements, de ces habits de ville que nous avions abandonnés depuis deux mois et que j’étais heureux de retrouver.

C’était comme un soulagement.

Nous aimons le temps des ratatouilles. Mais nous aimons aussi qu’il prenne fin, que se referme un jour la parenthèse des vacances et que lui succède, dans le sanglot céleste des derniers jours d’août, le temps de la rentrée.

Le temps de la rentrée, c’était celui des trousses, des stylos, des nouvelles gommes et des cahiers immaculés ; mais pour moi, c’était d’abord le temps des pantalons longs et des pulls, de ces vêtements lourds et solides où il me semblait retrouver une sorte de dignité. À les revêtir, je me sentais revenir à la civilisation, à la vraie vie.

Le temps a passé. De nombreuses fois la Massane et le Tech ont roulé des flots grondants avant de se tarir ; de nombreuses fois le Canigou a poussé son ombre jusqu’à Notre-Dame de la Garde. Je suis moins qu’hier attaché aux vêtements, moins qu’hier impatient de revenir à la ville, à ses clameurs et à ses artifices. J’ai lentement appris à apprécier le silence du silence, la splendeur de la nature, la joie simple que procurent les salades grecques et les champs d’oliviers.

Ce qui n’a pas changé, c’est le bonheur du changement, le plaisir enfantin et profond qu’on éprouve, quand l’heure est venue, à passer d’un monde à un autre, à quitter les sentiers pour arpenter les rues, à refermer le temps, pourtant adoré, des cigales et des ratatouilles, pour revenir à celui des hommes et des femmes ; le plaisir de changer de rôle.

Aldor Écrit par :

5 Comments

  1. 26 août 2023
    Reply

    Très beau texte, merci… De mon côté c’est l’odeur de la pluie sur un sol parsemé d’aiguilles de pins qui marque ce retour à la rentrée.

    • 26 août 2023
      Reply

      Ah ! C’est vrai que cette odeur particulière est également marquante.

  2. Laguerre
    27 août 2023
    Reply

    L’orage arrive ce soir sur Sorède . Il faut mettre un pull ce soir et apprécier ton beau texte, les 20 degrés perdus depuis avant hier, le temps des écharpes des feuilles mortes et des anniversaires…

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.