Le privilège du plus fort, le vrai privilège du plus fort, n’est pas de pouvoir imposer sa loi ; il est d’être celui, il est d’être l’unique qui, parce qu’il n’en a pas besoin, peut vraiment proposer la paix.
C’est toujours cette histoire de retenue, de décréation, de Tsimtsoum dont je discutais l’autre jour avec Denis et dont j’avais entendu, la veille, une autre illustration dans le petit discours que nous avait tenu le pasteur de l’église Saint-Pierre le Jeune de Strasbourg parlant de la fresque de son église qui représente Jésus tendant la main vers Simon Pierre en train de se noyer mais qui ne l’a pas encore touché. C’est dans ce moment là, dans cette attente et cet inachèvement, dans cette faille, ce hiatus, que peuvent passer l’espoir et le souffle, et que tout devient possible car on n’est pas allé au bout de son geste, on n’a pas saturé l’espace ; on a laissé une place pour que quelque chose qu’on ne maîtrise pas forcément, pour que l’altérité advienne.
C’est au plus fort qu’il revient non seulement de ne pas abuser de sa victoire mais de ne pas aller au bout de son geste, d’arrêter sa main pour stopper le flux et le reflux pendulaires des destructions, des souffrances et des pleurs. Dans cette retenue, un risque se dessine car on fait le choix d’abdiquer la toute puissance que nous confère la force pour laisser place à autre chose, à un inconnu qu’on ne maîtrise pas. Mais c’est par là seulement qu’on peut sortir du cycle irrefréné de la violence, qu’on peut donner sa chance à autre chose.
Telle est la responsabilité du plus fort. A Gaza comme ailleurs.
Et il se trouve que Gustave Doré, dont l’illustration du Loup et l’agneau illustre ce papier, est né a Strasbourg et que le Musée d’art moderne et contemporain (MAMC) de cette ville expose certaines de ses oeuvres dont l’extraordinaire Christ quittant le prétoire, récemment restauré.
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