Le tourbillon des choses

Deux feuilles mortes embrassées, rue de l’Abbé de l’Épée, 27 octobre 2023

Est paru ce matin au Journal officiel l’arrêté du 24 octobre 2023 modifiant l’arrêté du 6 décembre 2022 portant approbation du calendrier des courses et réunions de courses de chevaux françaises et étrangères pouvant servir de support aux paris hippiques pour l’année 2023.

À la lecture du titre de cet arrêté, je suis, comme chaque fois avec le JORF, saisi par le débordement, le caractère stupéfiant et insaisissable d’un monde où se côtoient et où se superposent, en chaque instant et en chaque lieu, des choses aussi hétérogènes que l’extinction du vivant et les courses hippiques, mes amours contrariées et le bombardement de Gaza, la coupe du monde de rugby et les massacres de Boko Haram, le dernier défilé de mode et le sort fait aux femmes dans l’Afghanistan des Talibans.

J’ai bien conscience de ce que certains de ces faits sont plus importants que d’autres ; mais je ne crois pas que ceux qu’on juge les moins essentiels doivent être pour autant dédaignés. Nous sommes cet animal qui dépend tout autant, et sans doute même plus, des superstructures qu’il a échafaudées que du sol où il a pris naissance ; et notre vie, dès lors qu’elle dépasse le stade de la survie, est cet aller-retour perpétuel de l’essentiel au superflu, du minuscule au gigantesque, du plaisir suscité par un sourire à la béatitude devant un ciel rempli d’étoiles. C’est dans ce mélange incessant des genres, des grandeurs et des ordres que notre joie, et peut-être notre humanité, se construisent.

Je n’éprouve ainsi, quant à moi, aucun intérêt pour les courses hippiques mais, sauf à ce que cette activité provoque de la souffrance (je n’en sais rien) ou accroisse plus la dégradation du monde que ne le ferait quoi que ce soit d’autre, je profite indirectement de l’intérêt qu’elle procure à certains, de l’expérience qu’ils en retirent, des compétences qu’ils y acquièrent, comme je profite de l’amour des amoureux, du calme de certains chats ou de la patience mise par le bousier à former puis à rouler sa boule sur les sentiers de Fontainebleau. Par des canaux que je ne connais pas, je retire quelque chose de tout cela, comme Modesta, la magnifique héroïne du magnifique Art de la joie, se nourrit et grandit de la rencontre de celles et ceux qu’elle côtoie.

Je ne suis pas sûr que ce soit en nous focalisant sur ce qui est considéré à juste titre comme l’essentiel qu’on devienne plus efficace ou plus rapide dans l’atteinte de cet essentiel. Je trouve, dans l’émotion ressentie, il y a quelques heures, devant ces deux feuilles embrassées sur le trottoir mouillé, plus de raisons de me battre et d’espérer que dans les nouvelles importantes d’un monde où les valeurs les plus simples, les plus immédiates, les plus fondamentales, les plus élémentaires, sont de tous côtés foulées aux pieds au gré d’une vendetta qui, à l’injustifiable, ne sait répondre que par un autre injustifiable. Et indépendamment même de cela, je crois que c’est pour son épaisseur, son hétérogénéité, son irréductible désordre, son mélange incessant de petites et grandes choses, de phénomènes célestes et de faits anecdotiques et ridicules ; pour son manque de sérieux et d’esprit de sérieux que la vie vaut d’être vécue.


Aldor Écrit par :

Soyez le premier à commenter

    Laisser un commentaire

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.