Ne pas remettre une pièce dans la machine

Vient un moment où les crispations et les tensions sont telles qu’il faut absolument réfréner notre désir de prendre la parole, serait-ce pour dire des choses sages, équitables et intelligentes, parce que toute parole ne fait que remettre une pièce dans une machine devenue folle.

Et puis on se dit que c’est lâche d’agir ainsi, de laisser la parole à ceux qui ne savent exprimer que leur colère, leur désespoir, leur haine, et qu’il serait plus courageux d’oser défendre une sorte de raison.

Il y a la pudeur, qui nous ordonne de nous taire, de faire silence et de respecter le deuil, le deuil emmêlé et indémêlable de tous les endeuillés.

Mais est aussi présente l’idée que tout vaut mieux que le silence, le silence retranché derrière lequel les camps affutent leurs armes, plus tranchantes et meurtrières que des mots, un silence qui s’alourdit chaque jour du poids des paroles non dites.

Il y a la peur, la peur d’être mal compris, et cette crainte qui nous pousse à nous taire plutôt que d’affronter l’incompréhension, le désamour, le mépris que peut susciter la prise de distance.

Mais il y a l’idée que c’est seulement en affrontant la vérité qu’on pourra demain échapper au mépris.

Il y a l’intuition que, derrière notre envie de prendre la parole, derrière cette posture noble et généreuse, ne se cache en fait qu’un prurit, notre vanité, et qu’elle est ici indécente.

Mais est aussi présente l’idée que l’indécence est parfois ce qui permet de dévoiler la vérité des choses, de les nettoyer de tout le fatras qui empêche d’en distinguer la forme et le sens.

Il y a le réalisme, l’évidence de ce que les omelettes, jamais, ne se font sans casser les œufs, et que c’est donc être irresponsable et velléitaire que de pleurer sur les œufs cassés.

Puis il y a l’idée que tout est affaire de mesure et que rien ne justifie la démesure.

Il y a l’injustifiable, l’irréparable qui a été commis et qu’on ne peut laisser impuni.

Et puis il y a l’idée qu’on ne combat jamais pour le passé et pour punir mais seulement pour construire un avenir meilleur, et que c’est cela seul qui doit guider.

Il y a l’idée que c’est justement parfois en ne laissant pas le passé impuni que l’avenir peut vraiment se construire.

Et puis il y a l’idée qu’il y a des façons de punir qui reproduisent le mal commis et qui ne font que remettre une pièce dans la machine.

Aldor Écrit par :

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