Inanité bavarde

Le verre vide de Katia dans le ciel gris du 30 décembre 2023

À la page 46 d’une feuille de route récemment publiée, pour concertation, par les pouvoirs publics, on trouve cette formule, placée en exergue : “Tous les acteurs souffrent d’une entropie encore trop importante qui empêche les projets de s’articuler correctement et de passer à l’échelle”.

Je l’ai lue, relue, rerelue sans arriver à en trouver le sens et ai fini par me convaincre que, de sens, elle n’en avait pas. Ce sont juste des mots juxtaposés de telle manière qu’ils forment des phrases mais ces phrases ne signifient rien.

Je ne suis pas sûr, pourtant, que cette phrase insensée ait été rédigée par une intelligence artificielle (IA). Je pense qu’elle a été conçue par un être humain mais selon les codes popularisés ces derniers temps par les cabinets de consultants, les media trainers et autres conseillers en communication, toutes ces entités qui hantent les allées du pouvoir et tentent de lui donner substance : multiplier les mots, les références, les allusions, les chiffres, faire masse, bien léché et joli, mais dans le respect de la plus stricte et la plus radicale inanité.

Nous avons été trahis (et l’IA a hérité de ce défaut) par la qualité croissante de nos productions numériques. Nos planches de projection, nos graphiques de statistiques, nos organigrammes de projets, nos brochures, nos pages Internet, sont désormais si bien présentées, si bien mises en page, si facilement et rapidement attrayantes que nous pouvons désormais générer du rien de façon massive, ce que nous ne manquons pas de faire, surtout dans les secteurs où le “montrer qu’on fait” est aussi, voire plus important, que le “faire”. Ainsi, il y a quelques semaines, cette stratégie nationale biodiversité (quoi de plus important, pourtant, de plus essentiel ?) avec ses axes, ses sous-axes, ses objectifs, ses ambitions, et ses 333 pages d’actions et de mesures détaillant les enjeux, les pilotes, les parties prenantes mais dont on pressent, tellement c’est bien présenté, avec tellement de précision et de volonté de monstration opérationnelle, qu’il n’en sortira que du vent, que les auteurs le savent pertinemment et que c’est cette vacuité qu’ils tentent de recouvir, de voiler, de combler de ces centaines de pages. Ou encore ces labels, méthodologies de mesure et autres SBTi qui prolifèrent d’autant plus que, dans les faits, rien ne se passe (ou plutôt tout empire), ces labels qui se multiplient au motif d’aider les entreprises à réduire leur empreinte carbone, et qui habillent leur impuissance fondamentale à changer le cours des choses d’une inflation de protocoles, de critères, de stratégies qui ne changent rien à la catastrophe qui vient mais permettent de faire comme si.

Nous nous complaisons dans le vertige mallarméen d’un néant qui se mire et trouve, ma foi, qu’il présente assez bien.

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d’inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)


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3 Comments

  1. François
    30 décembre 2023
    Reply

    Derrière l’intelligence artificielle la bêtise authentique

  2. Edgar Poe
    30 décembre 2023
    Reply

    Cette phrase étrange sort-elle du flot sans honneur de quelque noir mélange ?

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