Last updated on 15 mars 2025

Il faut qu’Abraham intervienne, intercède, pour que Dieu envisage le sort des innocents qui pourraient périr dans la destruction de Sodome et Gomorrhe ; et l’on se dit que s’il est nécessaire d’intervenir, c’est que Dieu ne le saisit pas d’emblée, qu’il n’a pas pris la juste mesure de sa créature, qu’il n’a pas perçu l’infini que chaque être humain porte en lui, dont chaque femme et chaque homme est le dépositaire.
Mais de cette perception le contraire aussi jaillit car on peut, tournant nos yeux et adoptant le point de vue inverse et symétrique, songer aux malheureuses, aux malheureux, à celles et ceux qui souffrent, aux victimes non consentantes des actes commis à Sodome, Gomorrhe ou ailleurs, à toutes celles et ceux qui sont blessés dans leur chair et leur esprit ; et on peut se dire que chaque larme, chaque souffrance causée à un être est un scandale qui mériterait à lui seul que le monde retombe dans le néant, que le monde jamais ne soit sorti du silence initial parce que les pleurs et la souffrance d’un enfant (comme ceux d’un vieillard édenté, d’une vache ou d’un cochon) sont une tache ineffaçable, plus ineffaçable que le sang sur la clé fée de Barbe-bleue, une tache que rien ne saurait laver.
Chaque rire, chaque ligne d’un dessin, chaque chant, chaque parole d’amour légitime le monde et le rend digne d’être sauvé ; mais chaque larme, chaque cri de douleur, chaque parole de haine porte témoignage contre le monde, l’empoisonne et le voue aux gémonies.
Et du point de vue de Dieu, du point de vue du créateur sans lequel rien de cela ne serait advenu, mettre en balance la souffrance et la création a un sens : cela valait-il la peine, ce travail de six jours et de six nuits ; cela valait-il la peine si c’est pour qu’au bout du compte, quelque part à Sodome ou ailleurs, une petite fille ou un vieillard pleure de la souffrance qui lui est infligée ? A quoi tout ce travail, toutes ces étoiles, toutes ces girafes et toutes ces beautés riment-elles si elles conduisent et aboutissent à cela : à ce que quelque part dans la nuit, quelque part sous le joug, gémissent des larmes et de la souffrance ? Y a-t-il quelque chose dans le monde, y a-t-il une seule au chose au monde qui puisse justifier cela ? Quoi que puissent en dire Simone Weil et les autres adorateurs de la souffrance, je ne le crois pas
C’est pourquoi l’attitude de Dieu, qui considère qu’il suffit d’une créature mauvaise pour que la ville tout entière reçoive son châtiment ; cette attitude là n’est peut-être pas, de son point de vue de créateur, si insondable.
A suivre.
L’image a été générée par Midjourney à partir du prompt suivant : « Au milieu d’un champ de ruines, une petite fille, vêtue de vêtements très colorés, pleure. Gros plan sur son visage couvert de poussière et sur ses yeux. Photographie couleur objectif 24 mm dans le style d’une couverture de National Geographic.«
En illustration sonore, derrière ma lecture, la très belle chanson, très joliment chantée, d’Isabel Parra, Deme su voz, deme su mano. C’est la première chanson de l’album qui figure au bout de ce lien.
L’intercession d’Abraham |
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1. Un rire de jeune fille |
2. Les larmes de l’enfant |
3. L’arithmétique des infinis |
4. Ce qui manque à Dieu, c’est l’amour |
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