
Ce qui manque à Dieu, c’est l’amour, le vrai amour ; pas ces erzatz d’amour que sont l’amour divin (αγάπη), ou l’amour familial (στοργή), mais le vrai amour (Έρως), celui qui prend aux tripes et qui emporte tout. Ce qui manque à Dieu, c’est de désirer, de sentir ce besoin de se noyer dans l’autre, de sentir dans sa chair le désir de la chair, le mystère du désir, le plaisir du désir, la souffrance du désir, le délire du désir.
Les dieux antiques avaient un corps et une vie amoureuse ; Dieu est seul. Seul dans le néant, seul avec lui-même, dans un tête à tête dont seule la création le sauvera : enfin quelque chose d’autre ! Mais cet autre est malgré tout extirpé de lui-même ; c’est un alter ego plus qu’un autre véritable, et avec lui Dieu ne peut vraiment connaître le vertige, l’immense vertige de l’altérité, cet élan, cet attrait.
Dieu est seul. Dieu est seul et avant de créer le monde (et sans doute même après), il s’en porte très bien. A-t-on idée de ce que cela peut signifier ? A-t-on idée de ce que peut être un être qui n’a besoin de nul autre être, qui se contente de soi, qui jouit de lui-même et de sa solitude ? Un modèle de sérénité, d’équanimité, d’indifférence absolue et hautaine. Je ne lui jette pas la pierre : comment survivre autrement quand on est seul dans le néant ?
Mais comment cet être, qui ne connaît que soi, qui, de toute éternité n’a connu que des émanations, des clones de sa propre substance ; comment cet être pourrait-il ressentir autre chose qu’un agacement ennuyé quand une de ses créations, l’être humain, décide de ne pas suivre le chemin qu’il lui a tracé, de ne pas mettre ses pas dans les pas de son père ? Comment pourrait-il ne pas considérer ces êtres comme ses choses puisqu’elles le sont effectivement ?
Il faut un Abraham, il faut un être ayant souffert, ayant aimé, ayant connu le délire du désir, cette force obscure qui nous pousse vers l’obscur objet du désir ; il faut avoir connu cet ébranlement, cet anéantissement de toutes nos barrières, de toutes nos certitudes, cette lumière qui éblouit, sortant du cœur de la nuit ; il faut avoir été, au même instant, maître et esclave de qui l’on aime, pour deviner qu’un pardon est possible, pour comprendre qu’il est nécessaire.
C’est du plus matériel et du plus incarné que jaillit le plus spirituel.
C’est de la chair, des plaisirs et souffrances de la chair, des monstres et merveilles de la chair, de ce déchirement continuel au fond de nos entrailles que naît l’humanité des femmes et des hommes. Et le reste n’est que vanité, vanité et orgueil.
Fin.
En illustration sonore, sous ma lecture, Dis-moi que tu m’aimes, de et chanté par Zaho de Sagazan :
« Car moi, j’en ai vécu des amours malheureux
Des paroles aussi belles que mensongères
Ces paroles, les paroles légendaires
Oh moi, j’en ai vécu des amours miséreux
Alors prends-en soin
Prends soin du coeur que tu as entre les mains«
L’intercession d’Abraham |
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