
(Image générée par Midjourney)
Quand on demande aux IA génératives de représenter le réel, il est singulier de leur reprocher ensuite de livrer une version réaliste du réel.
Je veux dire qu’on ne peut pas à la fois :
- dire (ce qui est exact) que la société attribue généralement des rôles, des fonctions, des métiers différents aux femmes et aux hommes ;
- vouloir (ce qui est très défendable) que les IA génératives représentent équitablement les femmes et les hommes dans les différents rôles, fonctions et métiers ;
- et exiger (ce qui a du sens) de ces IA génératives qu’elles livrent une vision juste de la réalité.
Chacune de ces injonctions peut être suivie mais prises ensemble, elles sont contradictoires. Et dans la mesure où notre société n’est ni juste ni équitable, il y a un choix à opérer entre la véracité et la pédagogie de la représentation. Car il est un peu délicat de dire que la société est violente et inégale tout en n’en laissant voir que des images d’harmonie : si l’enfer a des airs de paradis, en quoi est-il enfer ?
Il serait facile de pointer cette dissension cognitive et d’en rester là, de se gausser du politiquement correct et de ne rien dire de plus. Mais ce serait très insuffisant. Car cette approche ambiguë, ambivalente, papillonante, de la réalité, est profondément ancrée chez nous, pauvres humains, et pas seulement pour de mauvaises raisons.
Je refaisais hier ma photo de profil pour Linkedin. Quel temps n’y ai-je pas passé ?! Non pas pour rendre la photo mensongère : il n’y a rien de faux là dedans ; aucune retouche, aucun filtre, rien qui ressemble en quoi que ce soit à une manipulation ; mais que d’apprêts, que de mines, que de recherches du bon angle, du bon emplacement des lunettes sur mon crâne dégarni, du bon sourire et du bon pétillement des yeux ! C’est moi, c’est indiscutablement moi, en chair et en os, qu’on voit sur la photo, mais un moi comme on ne le croise pas tous les jours, un moi un peu choisi, un moi un peu sélectionné parmi tous les moi en puissance. Je veux évidemment, comme nous voulons tous, que mon visage (et ma personne) soit apprécié et aimé pour ce qu’il est, dans sa réalité brute et sincère ; mais donner un petit coup de pouce pour que cette réalité tende un peu vers l’idéal, vers la réalité profonde que nous portons en nous et qui a parfois du mal à se révéler n’est pas vraiment fausser ; c’est au contraire aider la vérité, comme aide la vérité Van Gogh faisant ressortir, dans les traits de son pinceau, la substantialité de la chaise de paille.
Tout ça pour dire que notre conception de la réalité n’est pas si simple, si univoque que ça, que notre propension à mettre un peu d’idéal dans le brut ne se limite pas au politiquement correct des séries et injonctions contradictoires assenées aux IA génératives mais que nous la portons en nous, qu’elle nous est consubstantielle parce que nous sommes des êtres en devenir, des virtualités, et que nous nous savons que notre vérité est quelque part entre ce que nous sommes, ce que nous pourrions et ce que nous devrions être.
L’image Linkedin en question (qui pourtant, n’est pas si géniale que ça).

En illustration, une image générée par Midjourney à partir du prompt suivant : « Un homme de ménage âgé d’une cinquantaine d’années, fait le ménage. Il est très affairé et fatigué. On le voit de face, courbé, le chiffon à la main, en plein travail. Photographie 8K couleur dans le style d’une couverture du magazine National Geographic. »
En illustration sonore, derrière la musique, Pom Pom Girl, d’Ysa Ferrer, dont la thématique se marie admirablement à mon propos. Merci à Marc Alberto d’avoir déniché, pour notre prochain spectacle, ce morceau jouissif : J’me sens belle/Chaque fois/Que je réveille/Celle qui sommeille en moi, moi, moi, moi.
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