Merci !

Karim Duval l’a relevé avec son acuité habituelle, et je suis malheureusement moins léger que lui : nous devrions tous nous lever pour dire merci à Donald Trump : merci au nom de la planète et des êtres qui la peuplent, merci au nom de la biodiversité et des droits des générations futures. Car s’il y a bien une chose de sûre avec les décisions du président étatsunien en matière de droits de douane, c’est qu’elles auront pour premier effet de faire diminuer le commerce mondial et les échanges, de réduire le rythme de croissance de la production industrielle et donc de la pollution, de laisser un peu de répit aux orang-outans, aux baleines, aux femmes et aux hommes. En quelques traits de plume, il a effectivement fait plus dans la lutte contre l’effet de serre que pas mal de ces COP qui se sont succédées durant ces dernières années.

Évidemment telle n’était pas pas son intention et c’est pourquoi il serait déplacé de le remercier. Mais pourquoi pas, après tout ? Dans l’univers hypnocratique si bien décrit par Jianwei Xun, cet homme qui n’existe pas ou du moins pas vraiment, la chaîne des causalités, des actions-réactions, devient si ténue et si fragile, le processus d’auteurité, d’acteurité, d’autorité, si dissolu, si hybridé, si collectivisé dans une sorte de méga-production gonflée aux intelligences artificielles et où nul ne retrouve son petit, qu’il est devenu sans intérêt de savoir qui voulait quoi et pourquoi. L’important est que ça se fasse, que ça remplisse le champ entier de la conscience et de la réflexion, que ça nous mobilise et que ça détruise la capacité que nous avions de penser à autre chose, et peut-être simplement de penser : une guerre cognitive telle que décrite par Liu Cixin dans Le problème à trois corps, un tsimtsoum, une decréation à l’envers pour empêcher que quoi que ce soit d’autre advienne.

Car il est quand même étonnant, nous qui savons les ravages du commerce mondial, que nous soyons troublés par son ralentissement, comme il est étrange que nous versions une larme sur la baisse de Wall Street ou du Nasdaq : depuis quand les performances de Tesla ou d’Amazon nous chauent-elles ? Depuis quand sommes-nous marris d’une baisse de croissance que nous appelions de nos vœux ?

Hauts les cœurs ! Hardi ! Hardi ! Réjouissons-nous de cette entrée dans un monde que nous n’imaginions même pas il y a un an, le monde alicien ou magique de l’illinéarité, de la Reine de Coeur, du totalement et intrinsèquement imprévisible.

« La notion d’hypnocratie — la puissance et la domination des fantasmes — permet de décrire ce système où le pouvoir opère directement, c’est-à-dire algorithmiquement, sur la conscience, créant des états altérés permanents par la manipulation digitale de l’attention et de la perception. »

Jianwei Xun, « Trump, Musk : l’hypnocratie ou l’empire des fantasmes », Le Grand Continent, 25 janvier 2025

NB : Jianwei Xun est un dispositif. La création collaborative née du dialogue entre une intelligence humaine — qui porte le nom d’Andrea Colamedici, un philosophe italien qui a fondé avec d’autres un éditeur italien, Tlon — et certaines intelligences artificielles génératives, en particulier Claude d’Anthropic et ChatGPT d’OpenAI.

En illustration, une création hybride : une photo à partir de laquelle j’ai dessinée la silhouette en noir et blanc d’une raffinerie et dont une application de Samsung a tiré cette pseudo-aquarelle, que je trouve assez réussie, que j’ai à nouveau modifiée.

Et en illustration sonore, The Grid, de Philip Glass, tiré de l’album Koyaanisqatsi, réalisé pour l’extraordinaire film de Godfrey Reggio dont j’ai déjà parlé dans Aldor, et dont la thématique est si proche de celle que j’aborde aujourd »hui.