
Génétiquement, les animaux les plus proches de l’être humain sont les chimpanzés et bonobos (et inversement : les animaux les plus proches des chimpanzés et bonobos ne sont pas les gorilles ou d’autres singes mais les êtres humains). Et pourtant, nous avons, me semble-t-il, plus d’affinités avec les orang-outans, qui sont génétiquement beaucoup plus éloignés de nous, qu’avec les chimpanzés et bonobos. Nous nous sentons proches de ces derniers, mais pas autant que des orang-outans dans le regard et l’apparente mélancolie desquels nous nous reconnaissons.
Les bonobos et chimpanzés, avec lesquels nous partageons plus de 98 % de notre patrimoine génétique, ont peut-être des facultés intellectuelles (au regard des tests couramment pratiqués) supérieures à celles des orang-outans. Mais ces derniers ont des caractères comportementaux : très longue enfance et très longue éducation des petits (8 ans), jeu, utilisation d’outils et de médicaments, communication, empathie, qui témoignent d’une intelligence émotionnelle qui nous touche particulièrement. Il est d’ailleurs frappant de constater que si le XIXeme siècle a beaucoup insisté sur la force et la prétendue sauvagerie des orang-outans, ils apparaissent, dans la littérature et le cinéma du XXeme siècle, et notamment dans les différences versions de La planète des singes, comme des incarnations de la sagesse et de la modération. Non pas forcément les plus smart, les plus malins, mais probablement ceux en lesquels on peut avoir le plus confiance, avec lesquels, nous, humains, nous sentons le plus d’atomes crochus.

photo : Dinkum.
A l’heure où se déploient en force les IA et autres LLM, cette sympathie pour les orang-outans, plus bienveillants que brillants, plus compréhensifs qu’inventifs, est rassurante. Elle montre qu’aussi fascinés que nous soyons par l’intelligence et ce qui lui ressemble, par la capacité à raisonner vite et à extraire de l’information d’éléments disparates, nous ne perdons pas tout à fait le nord et sentons que pour nous, êtres humains, grands primates parmi les grands primates, le plus important, et probablement l’essentiel, est ailleurs, dans une certaine capacité à ne pas réagir au quart de tour, à se calmer, à méditer, à regarder le monde les yeux mi-clos.
Nous sommes justement admiratifs de la rapidité et de l’efficacité des intelligences artificielles, de leur capacité à brasser une quantité phénoménale d’informations et à prendre des décisions dans l’urgence mais savons qu’au bout du bout et pour les choix les plus fondamentaux, il importe moins d’être rapide et efficace que de prendre le temps du recul, le temps de la mélancolie. C’est pourquoi, étonnamment, à nos presque jumeaux : gorilles, et surtout chimpanzés et bonobos, nous préférons les orang-outans, ces cousins au regard pensif.
Derrière ma voix, en illustration sonore, le morceau « La chasse » (« The hunt ») de la Planète des singes de 1968 : une inquiétante partition sérielle composée par Jerry Goldsmith.
PS : M’étant replongé dans le scénario de La planète des singes, je crois que j’ai quelque peu enjolivé le personnage du docteur Zaius, qui est certes une sorte de ministre de la science mais qui n’est cependant pas spécialement sage. Je l’ai crédité sur sa bonne figure, mais un peu à tort…

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« le plus important, et probablement l’essentiel, est ailleurs, dans une certaine capacité à ne pas réagir au quart de tour, à se calmer, à méditer, à regarder le monde les yeux mi-clos. »
Certains politicards feraient bien de s’inspirer de ta phrase si juste…
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