Que la montagne est belle (mais pas aussi passionnante que les femmes et les hommes)

Cascade de Creissels, dans le Larzac

J’aime la montagne et la nature, la mer et les îles, les forêts. J’adore m’y promener, y randonner de longues journées, y dormir sous une tente pour être réveillé, juste avant l’aube, par le tohu-bohu des oiseaux. J’aime le vent, les déserts, les monts enneigés, ces longs moments de solitude au milieu des prairies, des arbres, des cailloux et des embruns. J’aime le parfum de l’herbe et des fleurs, l’air marin, le bruit des brindilles sous mes pas, le ballet des abeilles et des libellules, les chevreuils surgissant parfois d’un petit bois sur une route de campagne. J’aime les ruisseaux dégringolant des sommets, les flaques de sel, les mousses recouvrant de douceur les troncs jetés à terre par la tempête et par la foudre.

Je me sens bien dans ce monde sans humains ; bien et en communion, lié à chaque plante, à chaque fourmi, à chacun de ces bousiers roulant leur butin sous leur corps arc-bouté, à chacun des papillons zigzagant de fleur en fleur.

Mais hier soir, c’était la dernière de la pièce que nous jouions. Et quel immense plaisir : que de craintes, d’incertitudes, de joie et de bonheur ! Que d’émotions traversées et suscitées en cette heure et demie passée à jouer cet Almanzor dont je me sens si proche dans tout son ridicule ; et à jouir du spectacle, du talent, de l’énergie de mes camarades ! Quel déferlement d’adrénaline, de dopamine, d’endorphine, de je-ne-sais quelle autre de  ces hormones qui nous ravissent à nous-mêmes et nous font un moment planer !

La montagne et la nature sont belles mais c’est dans le contact, le frottement, l’échange, le jeu avec nos semblables que nous trouvons, et de très loin, les plaisirs les plus intenses. Nous sommes dans la nature et ne saurions nous en abstraire mais nous y avons, en quelques centaines de milliers d’années, bâti une niche tellement particulière, tellement enrichie de nos propres productions, de nos propres inventions, de nos propres réalités que le reste du monde, malgré toute sa splendeur, nous devient un peu plus fade et un peu étranger. Et c’est pourquoi, bien que nous soyons génétiquement plus proches des bonobos et chimpanzés que ne le sont les gorilles et les orang-outans, il n’est pas tout à fait faux de considérer que la culture a érigé, entre les autres grands primates et nous, une barrière que les liens génétiques ne parviennent pas à franchir, légitimant qu’on parle de grands singes d’un côté, et d’humains dans l’autre.

Nous sommes les enfants de la Chute et de Po-Io, le dresseur de chevaux, les héritiers de cette coupure d’avec le reste de la création, les filles et les fils de cette séparation initiale qui fit de nous ce que nous sommes.

Et aussi liés que nous soyons avec les autres créatures, aussi intimement plongés que nous soyons dans le monde, nous sommes autres et jouissons d’abord de nous-mêmes.


La pièce que nous jouions était Les Précieuses 2.0, une adaptation, par Marc Alberto, des Précieuses ridicules de Molière, où des influenceuses et autres instagrammeuses se substituaient aux précieuses.


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