
Il y a donc une entreprise londonienne, Builder AI, valorisée plus d’un milliard d’euros, qui vendait des services de codage prétendument générés par de l’intelligence artificielle mais qui, en fait, employait, pour sortir ses lignes de code, des centaines de personnes dans le monde, notamment en Inde. Et personne ne s’interroge sur la question de savoir si les lignes de code rédigées par ces femmes et ces hommes étaient meilleures ou moins bonnes que celles qu’aurait générées une IA ; de cela on se fiche.
Cela rappelle les automates joueurs d’échecs de la fin du XVIIIe ou du début du XIXe siècle (je crois que Napoléon assista à une partie), ces prétendues machines qu’on venait observer de très loin disputer des parties d’échecs, et dont on finissait toujours par découvrir qu’elles dissimulaient dans leurs entrailles une femme ou un homme qui animait les pièces. Car on ne venait pas voir ces machines parce qu’elles jouaient spécialement bien aux échecs mais essentiellement pour ressentir le frisson de la mécanique singeant l’humain, le délicieux frisson de l’intelligence humaine sachant créer des machines à sa ressemblance. Ce qui nous captivait, déjà, ce n’étaient pas les performances mais la performance, comme on parle de celle de l’acteur.
Dans certains domaines, les IA et autres LLM sont très performantes, et capables de faire en quelques secondes des choses qui prendraient des mois à un humain. Mais ça n’est pas ce qui nous fascine, chez elles. Ce qui nous fascine, dans les IA, comme dans les automates joueurs d’échecs, c’est l’apparence d’humanité. Au fond, ce que disent les robots conversationnels, le Chat de Mistral, DeepSeek, ChatGPT ou les extraordinaires dialogues genérés par NotebookLM (merci Damien !) est rarement prodigieux ou génial. Il peut y avoir de bonnes idées, des perspectives nouvelles mais ce sont souvent des banalités bien présentées, qui nous flattent mais ne font pas vraiment avancer les choses, quand elles ne sont pas truffées, comme il arrive parfois (avec Focase Rec, par exemple), d’erreurs et de contresens. Et je ne parle pas des hallucinations, de ces mensonges et autres références bidon assenées avec un incroyable aplomb.
Tout cela est secondaire. Car ce ne sont pas les performances des IA qui nous fascinent, c’est la performance de l’algorithme, qui sait imiter le raisonnement, l’hésitation, la mauvaise foi, l’humour ; c’est la capacité de ces LLM à feindre l’intérêt, la surprise, l’objectivité, la subjectivité, à réagir comme si elles ressentaient des émotions.
Je crois que c’est précisément et essentiellement là, dans le plaisir à la fois narcissique et prométhéen (golémique ? frankesteinien ? pygmalionien ?) d’avoir su donner apparence de vie à une créature à notre ressemblance, y compris ses défauts, qu’est le cœur de notre fascination pour les IA.
Nous jouissons de nous regarder, si beaux, si complexes, si pétris de contradictions, dans le miroir des LLM.
J’ai déjà eu l’occasion de souligner la qualité des images créées par les LLM. Celle qui illustre ce papier a été générée par Midjourney 6.1 sur la base du prompt suivant (moyennement respecté) : « Gravure en coupe d’un automate jouant aux échecs. Mais dans le corps de l’appareil, se dissimule un homme. C’est lui qui fait bouger les pièces. Gravure couleur dans le style des gravures de l’Encyclopédie. »
Midjourney générant quatre images à chaque requête, voici les trois autres :



En illustration sonore, derrière ma voix lisant, le son mécanique d’une boîte à musique, cet autre genre d’automate.
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