La beauté intrinsèque du droit


Certains de mes collègues et moi avons, en ce début de semaine, suivi un stage, à Sciences-Po, sur les fondamentaux du droit public. C’était passionnant.

Nos enseignants étaient très différents les uns des autres : un agrégé de droit, rompu à la parole et à l’exercice de la chaire, une maître des requêtes au Conseil d’Etat qui nous racontait la quotidien de l’institution, un conseiller-maître à la Cour des Comptes qui, du haut de son expérience, nous faisait toucher les raisons de la complexité des choses, une jeune secrétaire générale de métropole, enfin, qui nous disait les difficultés de la décentralisation et la façon dont les jeunes collectivités territoriales essayaient de grandir face à l’Etat jacobin. Et cette diversité de points de vue, des sensibilités, d’expressions, était en soi extrêmement enrichissante. Avoir des enseignants divers qui racontent la même chose chacun de leur manière permet de beaucoup mieux appréhender les choses et, de ce point de vue, revenir sur les bancs de l’université est une expérience très agréable.

Le deuxième enseignement que je retire de ce stage est la prise de conscience de la beauté et de l’honorabilité du droit. Vu du dehors, le droit est une affaire d’arguties, de pinaillages sans fin sur des questions de forme et de mots. Et devant l’enchevêtrement des tribunaux, la diversité des ordres juridiques, la complexité des procédures, l’immensité des jurisprudences, on peut avoir le sentiment d’une inutilité profonde, d’un appareillage qui ne servirait qu’à flatter l’ego des rhéteurs ou le plaisir un peu malsain des controverses habitant l’esprit des coupeurs de cheveux en quatre. Mais à l’étudier d’un peu plus près (et encore n’avons-nous pas approfondi beaucoup les choses), on découvre une longue marche vers l’établissement d’institutions, de lois, de juridictions permettant d’établir des rapports pacifiés entre les hommes, de calmer les conflits ou les différends, de régler aux mieux les choses. Et cet échafaudage d’institutions disparates, de recours et de référés, de jurisprudences difficilement lisibles n’est pas inutile. Elle marque simplement le fait que, pour être efficace dans le monde imparfait et mouvant qui est le nôtre, le droit doit constamment régler les choses au cas par cas, les lois n’étant jamais totalement adaptées à la situation réelle. La jurisprudence, dans son immensité, est cet aveu d’humilité. Pour faire jaillir le vrai, le bon et le juste, il faut cette immensité et cette épaisseur, il faut cette viscosité – et cela est une juste cause.

Et de cela découle une dernière leçon : s’il fallait choisir entre la vie d’un être et une décision du Conseil d’Etat, entre une sauvegarde environnementale et un recours devant le Conseil constitutionnel, c’est évidemment la vie et l’environnement qui devraient être choisis ; il n’y a aucun doute. Mais à voir – même de loin – opérer cette construction du droit, on comprend qu’il y a dans cette construction quelque chose qui dépasse le plaisir intellectuel. Il y a du transcendant dans cet effort jamais achevé pour dire le juste à partir de l’informe de la vie réelle. Or l’homme n’est pas tout entier contenu dans sa survie, dans l’effort fait pour se nourrir, se soigner, se reproduire ; il n’y a pas que l’agriculteur, le médecin, le boulanger et l’enseignant dont le travail soit utile et beau. Et la quête maladroite du vrai et du juste qu’incarne le droit fait la grandeur de l’homme, comme le font la poésie, l’art, la science et l’amour.

Il y a dans cette recherche forcément maladroite quelque chose de profondément honorable et grand.

Il y a une beauté intrinsèque du droit.


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18 Comments

  1. 29 septembre 2017
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    Très intéressant. D’autant que ce domaine est toujours ou quasiment toujours observé sous son angle répressif et jamais sous celui où il s’essaie à poser les fondements d’une société juste.

    • 2 octobre 2017
      Reply

      Merci, Phedrienne. Oui, il faut parfois se rappeler de l’origine des choses.

  2. 29 septembre 2017
    Reply

    Etre vrai, faire ce qui nous semble juste, c’est un beau programme de vie, auquel j’adhère pleinement ! Je ne sais pas si je qualifierais cela de “grand” (peut on qualifier l’homme de “grand”, vaste débat…), mais je trouve très précis et touchant l’adjectif “honorable”, qui contient des dimensions si importantes pour moi : estime, dignité, respect.

    • 2 octobre 2017
      Reply

      Bonjour, Esther. Oui : honorable est le bon mot. Et dans mon esprit, parler de la grandeur de l’homme n’exclut pas qu’il soit parfois petit…

  3. 29 septembre 2017
    Reply

    Le droit est quand même un des piliers de notre humanité.( dans le sens sentiment )
    Et à ce titre, je comprends tout à fait qu’il y ait une certaine beauté dans le droit, et que tu défendes avec élégance ce point de vue.
    ¸¸.•*¨*• ⭐️

    • 2 octobre 2017
      Reply

      Merci, Célestine.

      Ton étoile dorée est très jolie.

  4. 29 septembre 2017
    Reply

    Il y a effectivement quelque chose de noble dans cette recherche de justice.

    • 2 octobre 2017
      Reply

      Oui, Glomérule. Puis c’est une quête sans fin, comme celle de Don Quichotte.

  5. 30 septembre 2017
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    Il s’agit-là d’une Improvisation hautement philosophique que je partage dans sa dimension… uniquement philosophique, justement !
    Comme vous, je reste émerveillée devant l’ingéniosité de l’être humain dans les domaines que vous citez, notamment, “la poésie, l’art, la science et l’amour” et dans la “beauté intrinsèque du droit” (très beau titre).
    Quant au “droit” – tel qu’il s’est manifesté dans ma réalité, c’est-à-dire sous forme de cours à l’université – j’en garde un souvenir tellement é-pou-van-ta-ble que j’en ai (encore aujourd’hui) la nausée !

    • 2 octobre 2017
      Reply

      Merci, Andrea. Effectivement, il y a le droit et puis il y a ceux qui le font et qui en parlent et qui l’enseignent. Et ceux-ci ne rendent pas toujours hommage à celui-là.

      Mais il en va ainsi de tout, non ? (En fait, peut-être pas).

      • 2 octobre 2017
        Reply

        Oui Aldor, il en va ainsi dans tous les domaines, hélas.
        Bonne semaine.

  6. 30 septembre 2017
    Reply

    J’aurais du mal à inclure le droit parmi les arts, qui me semblent plus purs, plus élevés, moins bassement matériels.
    La justice me fait l’effet d’une machinerie inextricable dans laquelle il ne vaut mieux pas mettre le bout du doigt, mais peut-être me trompe-je …

    • 2 octobre 2017
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      Bonjour, Marie-Anne. La machinerie judiciaire, qu’on voit à l’oeuvre dans Le procès, de Kafka, existe aussi, c’est sûr. A chaque chose, existe sa perversion.

      • 2 octobre 2017
        Reply

        C’est vrai que le monde n’est pas toujours kafkaïen, heureusement.

    • 2 octobre 2017
      Reply

      Merci, Postcardsedge.

  7. 3 février 2018
    Reply

    Votre texte est magnifique et magnifie notre État de droit…

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