Possession


 

Il y a quelques jours de cela, Katia, à laquelle je m’étais adressé en utilisant un adjectif possessif, m’avait rétorqué, comme dans une mise en garde : « Ah, mais , tu sais, on n’appartient jamais à personne.« .

C’est vrai. Mais repensant, je ne sais pourquoi, à cela cette nuit, je me suis rendu compte que cette réflexion était peut-être incomplète, et que quelque chose y manquait.

En français – génie de la langue ! – le possessif marque la propriété mais il marque aussi, et surtout peut-être, la possession. Mon mal, ma souffrance, mes défauts, mais aussi ma foi et mon espérance, ne désignent pas ma propriété mais des choses, des êtres, des sentiments dont je suis au contraire la proie.

La possession, de façon plus générale, désigne cet état vibrant de l’être où se révèlent l’épaisseur, la complexité, l’ambivalence fondamentale du monde ; elle est un de ces mots qui pointent l’existence simultanée de contradictions au cœur de l’existence. Car la possession est ce mystère qui fait que ce qu’on possède nous possède.

Henry David Thoreau (Henry – comme me le fait justement observer Katia) l’avait remarqué en faisant observer que toute l’énergie et le temps que nous dépensons à travailler pour pouvoir construire et utiliser des chemins de fer pouvaient être vus d’une façon inversée et conduire à considérer que, pour rouler en chemins de fer, nous nous faisions en fait rouler dessus par eux. Le personnage de Gollum, dans Le seigneur des anneaux, qui croit posséder l’anneau quand il en est l’esclave, est une autre illustration de ce phénomène.

Il est clair que les biens et les choses que l’on possède nous possèdent aussi : ils nous retiennent, nous immobilisent, nous alourdissent, mettent de l’inertie dans nos mouvements et nos déplacements. Et c’est pourquoi voyager léger – Traveling light, comme dit Leonard Cohen -, allège plus que le sac, le vélo ou le dos : le dépouillement, la pauvreté, l’effort fait pour renoncer à tout ce qu’on croit avoir et qui en fait nous a, est une libération, une sorte de Tsimtsoum.

Ce qui est vrai des choses et des biens l’est aussi, évidemment, Ô combien ! des êtres : ces êtres à qui je tiens me tiennent ; l’amour que j’ai pour eux – qui me permet, en partie, de me libérer de moi-même –  m’enchaîne simultanément : en me détachant de mon propre nombril, de mon propre ego, je m’enchaîne à l’autre : nous sommes à ceux que nous aimons.

Faut-il le regretter ? Je n’en suis pas certain.


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23 Comments

  1. C’est un de mes défis depuis quelques années : le minimalisme, la sobriété (heureuse) et l’amour Pour l’autre qui fait du Bien à Soi. Je ne culpabilise plus de vivre seule, car je partage avec mes animaux, mon fils et les jeunes dont je m’occupe énormément de choses. Je n’ai plus de voiture depuis 2009, pas de TV, pas de tel high tech.. Je suis là pour les autres mais sais dire Non avec clarté et fermeté quand cela devient aliénant. Idyllique ? Oui, sans doute, mais j’ai 48 ans, et ce que je décris là, fut un travail intérieur de longue haleine. Nous ne possédons même pas notre corps qui nous quittera un jour, c’est dire si nous ne possédons Rien. Quant à la propriété, sans doute, mais c’est une illusion qui au lieu de rassurer, renferme… 🙂 Beau dimanche

    • 3 octobre 2017
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      … Bonsoir.

      J’ai un peu plus d’années mais moins de sagesse. Mais bon ! J’avance…

      Merci de ta visite et de ton commentaire.

  2. 1 octobre 2017
    Reply

    Aldor,
    Je ne ferais pas un commentaire aussi complet sur la lectrice précédente mais je tiens à te dire que j’adore (sans jeu de mots) tes articles : leur profondeur et leur justesse me lancer sans voix !
    Pour rejoindre le sujet de celui-ci, je suis adepte du minimalisme depuis quelques années maintenant et je rejoins complètement ton analyse en ce qui concerne l’attachement aux choses et aux gens.
    Amicalement,
    Patrick

    • 3 octobre 2017
      Reply

      Bonsoir, Patrick.

      J’ai la chance de trouver autour de moi plein de sujets d’inspiration dont je n’ai qu’à dérouler la pelote, ce que j’aime bien faire. Parler puis écrire permet d’avancer

      Le minimalisme ? J’avance mais en suis encore loin. Mais je le comprends aujourd’hui alors que ça n’était pas le cas hier. Tout espoir n’est donc pas perdu…

      😉

  3. 1 octobre 2017
    Reply

    « en me détachant de mon propre nombril, de mon propre ego, je m’enchaîne à l’autre : nous sommes à ceux que nous aimons. »
    Voilà une appréciation que j’apprécie énormément tant elle est d’actualité. Merci Aldor.

    • 3 octobre 2017
      Reply

      Bonsoir, Charef. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose mais je crois effectivement que c’est ainsi : en allant vers l’autre, on se libère de soi mais ce faisant, on s’enchaîne à l’autre.

      Peut-on être totalement libre de tout attachement pour quelqu’un qu’on aime : enfant, amant, je ne sais qui encore ? Peut-être. Je ne sais pas.

      • 3 octobre 2017
        Reply

        Je peux t’affirmer que le doute m’accompagne en permanence. Seulement je ne trouve pas l’énergie pour faire fi de cet amoncellement d’expériences que je traine comme un boulet et dont je n’arrive pas à me détacher. La peur de l’inconnu peut être parce que on est plus réfléchis.

  4. 1 octobre 2017
    Reply

    Time to listen to Edith Piaf’s « Non, Je ne regrette rien » on full volume 🙂

    • 3 octobre 2017
      Reply

      Ah ! You’re perfectly right. Thank you for this advisory.

  5. 1 octobre 2017
    Reply

    As one travels light with the bare minimum possessions one may traverse this life with a light heart and a lighter mind. To possess and be possessed, for me, is an abstraction, a mobius strip of cyclical thoughts. We are who we are interacting and playing with the objects/people we wish to be with. Accepting the impermanence of possession allows you to enjoy it yet be free to accept its eventual end. There is no place for regrets, children play with toys and if they hurt themselves they never regret having played! let us be children 🙂

    • 3 octobre 2017
      Reply

      You’re right and it’s wisdom. But it’s not so easy to act this way.

      The acceptation of Impermanence is easy when there is nothing essential. But when there is, on balance, something as strong as love, it’s not the same…

      • 4 octobre 2017
        Reply

        True… but is it truly love or a fear of the alternative being alone …

      • 4 octobre 2017
        Reply

        “Wisdom tells me I am nothing and love tells me I am everything and between the two life flows” came across this quote and it seemed appropriate. Hope your days bring you joy and comfort, away from the chaos of sadness.

  6. 2 octobre 2017
    Reply

    Il est indéniable que ce que l’on possède nous possède

    • 3 octobre 2017
      Reply

      Oui. Il y a peu de temps que je l’ai compris mais oui. Indiscutablement.

  7. 2 octobre 2017
    Reply

    Et puis il y a tout ce drole de rapport entre le genre du possede (son crayon (le crayon de Marie), plutot que celui du possedant, comme en anglais, par exemple (her : le crayon de Marie), les specificites des consonnes et des voyelles (sa jupe (la jupe de Marie)), et les etudiants anglophones s’en tirent les cheveux et nous font sourire !

    • 3 octobre 2017
      Reply

      C’est vrai, Sylvie. Ça vient ajouter une couche de complexité à quelque chose qui n’en avait probablement pas besoin…

      Bonjour aux antipodes.

  8. 2 octobre 2017
    Reply

    Il faut dire que l’arsenal des mots de la possession est illimité…
    Tu es mienne, je te possède, je t’ai dans la peau, mon homme, ma femme, prends moi, je t’appartiens, je suis à toi…
    Dominant, dominé, jalousie, exclusivité, qu’il est difficile de s’affirmer soi tout en aimant l’autre…
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • 3 octobre 2017
      Reply

      … Je ne suis pas sûr, Célestine, que, si l’on fait abstraction des conventions, ce soit si dur. S’abandonner à l’autre est peut-être le seul moyen que nous ayons de nous libérer de nous même. Et donc, en s’abandonnant, on se perd. Oui. Mais l’autre aussi s’abandonne. Y a-t-il vraiment un problème à cet échange symétrique ?

      • 5 octobre 2017
        Reply

        Je n’aime pas l’idée de me perdre, tout simplement…
        mais cela n’engage que moi.
        ¸¸.•*¨*• 🦋

        • 14 octobre 2017
          Reply

          Je comprends, Célestine. Je n’ai pas la même réticence.

  9. 4 octobre 2017
    Reply

    Enchainer est un mot fort, n’est-il pas possible d’être attaché à l’autre sans avoir les fers aux pieds ? Je préfèrerais me voir reliée à eux par un cordon de soie léger qui ne me retienne pas lorsque j’ai besoin de m’évader. Cela vient aussi probablement de mon anxiété sociale.

    Cela dit, lorsque je m »attache à quelqu’un, j’ai aussi tendance à utiliser le possessif, presque sans le vouloir (ma chère Cécile, ma petite Lucie…). Je trouve que c’est une marque de plus d’exprimer son affection !

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