Last updated on 29 novembre 2017
Nous discutions hier, avec une collègue, de la transformation prochaine de notre espace de travail, qui était jusque ici composé de bureaux doubles ou individuels, et qui deviendra, dans quelques mois, un grand open space – puisque telle est la décision de l’entreprise.
Ce qui préoccupait ma collègue, au demeurant adorable et pleine de qualités, était la question de savoir si, dans ce grand chambardement, notre équipe serait traitée équitablement, c’est-à-dire aussi bien que les autres. Or il semblait que non : rapportée à la tête de pipe, la surface dont nous disposerions serait peut-être légèrement inférieure à celle dont disposaient les autres. Et ma collègue alors de m’expliquer qu’il ne fallait pas se faire marcher sur les pieds et que c’était une question de dignité.
Une brusque illumination s’est alors faite dans mon esprit, accompagnée de la conviction intime qu’elle se trompait, et que le lien qu’elle établissait entre le fait de se faire marcher sur les pieds ou non et la dignité était faux, radicalement faux.
Et j’ai alors compris ces longues discussions que j’ai, de temps à autre, avec Katia, à propos du regard des autres et de ce qu’elle appelle la considération, ai fait le lien avec les réflexions qu’il m’est arrivé d’avoir sur le rapport et la différence entre originalité et excentricité, et ai saisi jusqu’au bout ce qui Simone Weil voulait dire lorsqu’elle parlait des droits et des devoirs.
Exprimée simplement (je compléterai plus tard, peut-être), la chose est la suivante : la dignité n’a rien à voir avec les autres ; elle n’est pas donnée par les autres et ne peut pas être retirée par les autres. La dignité émane de soi. Les autres peuvent bafouer entièrement mes droits et me les les refuser tous ; je conserve ma dignité tant que moi-même, je reste fidèle à mes devoirs.
Je suis le seul maître de ma dignité.
PS : Clémentine, Esther et Célestine me font justement remarquer que les mots “dignité” et “considération” sont ambigus en ceci qu’ils visent parfois une sorte de reconnaissance extérieure et parfois un sentiment intérieur (qui n’est pas de “valeur”, sinon de valeur en tant qu’homme). Elles ont raison. La dignité dont je parlais, Esther l’a compris, est celle qu’on a indépendamment du regard des autres.
Clémentine soulève par ailleurs le point difficile du lien entre le respect et la dignité. Il peut arriver – et c’est probablement ce que visait ma collègue et amie – qu’on nous manque à tel point de respect, qu’on nous traite si mal, que la dignité paraît exiger qu’on refuse et qu’on se rebelle. C’est vrai. Mais même dans ce cas, c’est nous qui sommes maîtres de notre dignité, capitaine de notre âme, comme le disait Henley. C’est celui qui nous traite mal qui est indigne, et non nous, qui sommes sa victime. Nous ne devenons indignes que si nous-mêmes commettons librement des actes indignes.
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Free man ne se met à genoux devant personne, et ce n’est pas tant pour cette raison qu’il est Freeman, c’est surtout parce qu’il ne laisse jamais personne se mettre à genoux devant lui. 🙂
Bonne journée à vous.
Oui, Juan : ce qui fait la dignité, c’est le fait de se comporter dignement. A son égard et l’égard des autres. Quand le tortionnaire torture, ce n’est pas le torturé qui perd sa dignité, c’est le tortionnaire.
tout à fait d’accord avec vous.
Mer, aimable Chatte de Tel-Aviv !
Oui, beaucoup de justesse dans cette réflexion. N’est-ce pas une façon d’être digne que de refuser que l’on nous traite mal, de le signifier? Cela ne signifie pas qu’on la pe si on n’est pas entendu, mais il me semble qu’une excessive docilité peut nuire à la dignité.
Tu as raison, Clémentine. J’y pensais ce matin sur mon vélo. C’est ce qui peut justifier aussi la rébellion, la révolte ou les révolutions. Il ne s’agit pas de tout accepter… J’avoue que là, je n’arrive pas à tenir les deux bouts. Il faut approfondir. Mais merci de ta relance, qui est tout à fait justifiée.
Il me semble que sa dignité n’est pas en jeu quand il s’agit de défendre quelques cm2 de bureau… la révolte est digne selon ce qui la pousse, non?
…Je suis à nouveau d’accord avec toi, Clémentine, mais c’est un autre sujet : que le problème (la querelle aurait dit De Gaulle) soit grave ou non, qu’il s’agisse de taille de bureau ou de liberté, pour reprendre l’exemple de Mandela, notre dignité ne dépend en rien de l’autre. Elle est tout à nous – modulo notre échange précédent.
Assez d’accord, Clémentine 🙂 Il en va pour moi plus d’une histoire d’équité que de dignité.
Tout en étant d’accord sur ce que vous dites tous deux de la dignité, je songeais à y ajouter quelque chose, qui me travaille depuis un moment (pour un prochain billet ^^), et qui à a voir avec ce que l’on considère juste pour soi et comme ne se négociant pas. Refuser que l’on nous traite mal est important, mais il en va pour moi plus d’une question de respecter ma morale intérieure plutôt que d’en faire une question de dignité, qui est extérieure, établie par le regard de l’autre. Dont je me se assez peu dépendante sur le fond^^
Bonjour, Esther.
Ce que tu appelles morale intérieure, je l’appelle dignité. Elle ne dépend que de soi et nullement du regard des autres.
Ce qui dépend du regard des autres, c’est éventuellement la considération, mais c’est beaucoup moins important – sauf quand le manque de considération fait obstacle à ton propre sentiment de dignité. C’est le point que soulevait justement Clémentine, je crois.
Bon. Nous ne mettons pas les mêmes mots sur les mêmes choses, mais nous partageons l’idée d’une morale intérieure, ne dépendant pas du regard des autres. Ce qui ne m’étonne pas 🙂
et zut, je t’ai vouvoyé 🙂
J’avais intérieurement corrigé.
🙂
Et pour finir, Aldor, je préfère mille fois ce que vous dites de la considération, qui parle d’examiner, d’apporter une attention fine à l’autre . Si l’on en revient à l’étymologie latine du mot, la dignité est ce qui est attribué par l’extérieur au titre d’une influence (donc de ce qu’on fait, qu’on produit plus peut-être que de ce qu’on est) comme un hommage, une marque d’honneur. Dans le cas de la considération, on considère ce qu’est quelqu’un là ou la dignité consacre ce que fait cette personnes. En ce qui me concerne, je penche pour la considération, qui évacue ce que la dignité peut parfois avoir de trouble dans ses motivations 🙂 (cf les charges publiques prisées par les dignitaires …)
Ici je te suis entièrement, Aldor. As-tu lu Trois Femmes Puissantes de Marie Ndiaye ? Je n’ai pas aimé la première histoire, mais les deux suivantes m’ont beaucoup plu, et surtout la dernière, où il est précisément question de ce que tu décris dans cette improvisation.
Bonsoir, Frog.
Non, Frog, je ne connais pas ce livre. Mais partageant souvent tes goûts, cela ne durera pas longtemps.
Merci.
C’est une approche intéressante et très personnelle, en effet !
La seule chose qui manque à ta démonstration, c’est que tu oublies de définir le mot.
Or, le sens du mot dignité (si l’on omet celui de « fonction éminente » ou de « distinction honorifique » ) est quand même complexe: Larousse dit: 1.« Respect que mérite quelqu’un ou quelque chose » et 2. « Attitude empreinte de réserve, de gravité, inspirée par la noblesse des sentiments ou par le désir de respectabilité ; sentiment que quelqu’un a de sa valeur »
Il me semble que la première définition est dépendante des autres, alors que la seconde est plus intime, et correspondrait mieux à ce que tu veux nous expliquer de cette illumination que tu as eue.
En l’occurrence, on comprend bien que ta collègue utilise le premier sens, celui de respect qu’on lui doit, et on comprend que le moindre des respect, pour un chef d’entreprise, est de faire preuve d’équité envers ses employés.
Alors que toi, tu lui réponds sur le second sens, et l’on doit admettre que le fait d’avoir un bureau moins grand n’enlève effectivement rien au sentiment que tu as de ta propre valeur.
Bien à toi, cher Aldor. C’est un plaisir de voir un blog basé sur la réflexion.
¸¸.•*¨*• ☆
Bonjour, Célestine.
Tu as raison : les mots sont ambigus, et surtout peut-être ceux-là qui parlent de choses si délicates et parfois ineffables. Esther et Clémentine l’ont aussi remarqué.
Je ne partage pas ta compréhension des deux acceptions que le dictionnaire donne au mot. Ce n’est pas le deuxième sens que je prenais, qui me paraît essentiellement fait d’apparence, de prestance, de contenance. Une sorte d’habit de dignité dont on se revêt pour se protéger des autres, une dignité sociale. Et ce n’est pas un sentiment de valeur : la valeur n’a rien à faire ici. L’autre sens (le premier) me convainc plus, même si le mot “respect” n’est pas le bon. La dignité, on l’a en tant qu’homme, en tant que créature, tant qu’on ne déroge pas aux devoirs que ce statut nous donne.
Et mille mercis, chère Célestine, pour ton compliment terminal.
Pour moi la dignité émane bien de nous et c’est le respect que l’on s’accorde à soi … Juste pour soi ! Se respecter soi-même est effectivement être dans la dignité, se faire marcher sur les pieds est une réaction par rapport à l’autre que l’on accepte ou pas d’ailleurs ! Enfin tel est mon avis …
Bonsoir, Catherine,
Je crois que nous sommes d’accord.
J ai lu ce post car j ai ete alertee. Peut-etre qu il a ete suscite par une discussion entre collegues ou par une conversation imaginaire. Peu importe, dans le premier cas, le signal est clair qu il vaut mieux se taire pour eviter de trouver des propos sinceres deformes par une lecture personnelle, dans le second cas, c est l auteur qui se livre. Dans tous les cas, l ignorance de 3 femmes puissantes interroge et l absence de reference a Ricoeur plus encore. La definition de la dignite que reclame justement un des post de reponse est la bonne, je la partage pleinement. Et beaucoup d autres aussi quand ils insistent sur l idee que la dignite est une qualite qui n est pas qu innee. Bonne soiree a toutes et tous
Bonsoir, Salle1,
La conversation était réelle mais ce que j’en tire est évidemment personnel. C’est toujours avec ce qu’on porte en soi qu’on réagit aux autres. Et comme tu le dis fort justement, ça importe peu : Mon sujet n’était ni l’espace de travail, ni le droit social; c’était la question, toute intime, et qui m’intéresse depuis la lecture de Simone Weil (car, Paul Ricoeur, je ne l’ai pas lu – non plus, c’est vrai, que Trois femmes puissantes) de la dignité, puisque le mot avait été employé.
C’est un mot imprécis, toi aussi tu le relèves et tu as sans doute raison. Mais là encore, peu importe : quelque nom qu’on donne a ce que j’avais en tête et que j’appelle ainsi, cette conversation m’a permis de comprendre quelque chose qui n’était jusqu’alors pas clair dans mon esprit et c’est de cela que je voulais parler. De cela et seulement de cela.
Merci donc à celle par qui la question a été soulevée et éclaircie, au moins dans mon esprit.
Bonne soirée.