Pitoyable

Last updated on 31 mars 2018


Il est question, dans Les Misérables, d’un personnage dont Victor Hugo écrit qu’il était pitoyable. Et il utilise ce mot dans son acception première, qui signifie : capable de pitié, susceptible de pitié.

Le sens du mot a, on le sait, évolué beaucoup depuis. « Pitoyable », cela signifie plutôt, aujourd’hui, quelqu’un qui fait pitié. On a une évolution comparable, quoique non achevée, avec le mot : « gentil ». « Gentil » vise au départ une personne bienveillante, douce, ayant de bons sentiments. Mais à ce sens premier, qui demeure, s’ajoute désormais celui de personne naïve, un peu bête, qui croit tout ce qu’on lui dit et n’est pas très futée. Et à l’autre bout du spectre, le mot « terrible », qui ne se disait d’abord que d’une chose effrayante et redoutable, se dit de plus en plus d’une chose grande, spectaculaire et attrayante.

Ces évolutions illustrent d’une autre manière cette beauté du diable dont je parlais hier dans mon autre blog : nous disons aimer le bon et le bien mais d’une personne qui n’est que bienveillance et gentillesse, nous considérons vite qu’elle n’est plutôt que bêtise et mièvrerie. Nous disons ne pas aimer la violence et ce qui effraie, mais de ces choses là, les mots disent à quel point, en vrai, ils nous séduisent et nous tentent… Le bien, oui, mais pas que ça car il est, laissé seul avec lui-même, ennuyeux et fade ; le mal, non, bien sûr – mais un petit peu tout de même car du piquant rend les choses plus agréables encore…

A un bien qui serait parfaitement bien, nous préférons celui que vient enrichir une dose de son contraire. C’est ce que nous appelons le sel de la vie et le piquant des choses, ce grain d’acidité et de contrariété qui sublime les choses comme le grain de beauté sublime un visage qui, sans lui, serait parfait mais moins plaisant…

Nous aimons la paix mais des dizaines de milliers d’années d’histoire donnent à penser qu’à cet amour, se mêle un certain ennui. C’est pourquoi, régulièrement, à la paix, succèdent les combats et les guerres. On pourra accuser les rois, les marchands de canons et les totalitarismes mais qui ne voit qu’il existe à la guerre, au delà de tout cela, une cause plus profonde enfouie au coeur de nous : vient toujours un moment où la paix nous pèse…

Besoin incessant de verser du sel dans la douceur des choses, incapacité qui nous fait et que nous sommes de ne pouvoir nous satisfaire du seul bien et de la seule beauté. Là aussi est profondément le diable en nous et le signe de la chute. Là aussi, là fondamentalement, là seulement (et non certes pas dans l’amour charnel).

Il est inutile de s’en plaindre car nous sommes ainsi faits : c’est cela qui nous fait hommes. Mais tournant un peu les choses, on peut aussi, à la lumière de cela, comprendre ce qu’est un cheminement possible : apprendre, tout en restant homme, à surmonter cette négativité ancrée au fond de nous.

Peut-être est-ce à cela que Katia pense quand elle parle d’apprendre à ne plus trouver normal ce qui n’est pas normal.


PS : dessiner des coeurs dans l’immaculé, est-ce une autre expression de ce vice ?


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