Ce qui choque profondément dans la fable Le loup et l’agneau, ça n’est pas que le loup mange, au bout du compte, l’agneau ; car les loups et les agneaux sont ainsi faits que les loups mangent les agneaux : ce sont des animaux qui exercent leur puissance jusqu’au bout, sans retenue ; ils ne connaissent pas le Tsimtsoum et le renoncement.
Ce qui choque, c’est que le loup tente d’habiller ce qui n’est que son instinct et sa volonté de puissance, ce qui n’est que sa force, par de la raison.
Le problème n’est pas que les arguments qu’il donne sont faux et s’écroulent au fur et à mesure : seraient-ils chacun justes que le scandale n’en serait pas moins grand.
Car ce qui est fondamentalement scandaleux et ce qui nous étreint est le fait que le loup cherche des raisons là où il n’y a que l’expression de la force. Là est la mauvaise foi radicale, là est le mensonge radical : si le loup mange l’agneau, c’est qu’il est puissant et que l’agneau est faible. mais il prétend revêtir cette volonté de puissance qui est noirceur de l’habit de lumière de la raison. Là est le crime contre la vérité.
Nous avons tous des occasions d’agir ainsi, en employant, à l’appui de nos thèses ou de nos désirs, des arguments qui ne sont pas forcément tous facialement ou factuellement faux mais dont nous savons, au bout du compte, qu’ils sont mensongers et empreints de mauvaise foi, qu’ils ne sont pas véridiques. Et les employer est une violence. Une vraie violence.
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point.
– C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Ta réflexion sur la violence -dont je partage l’idée qu’elle est un crime contre la vérité- trouve ce matin un écho particulier alors que j’écris sur l’insincérité 🙂 A suivre…
En fait, c’était plutôt l’inverse. Que le mensonge est une violence…
Oui, j’ai bien lu ce que tu avais écris, mais mal formulé ma réponse, en omettant de préciser que je parlais de la violence du mensonge… Au temps pour moi 🙂
Tellement juste, tout cela. Merci Aldor, bon après midi!