“Le beau est ce qu’on désire sans vouloir le manger”

oeuvre


“Le beau est un attrait charnel qui tient à distance et implique une renonciation. Y compris la renonciation la plus intime, celle de l’imagination. On veut manger tous les autres objets de désir. Le beau est ce qu’on désire sans vouloir le manger. Nous désirons que cela soit.”

écrit Simone Weil, dans La pesanteur et la grâce. Et cela s’applique parfaitement à ces œuvres musicales ou picturales dont la seule présence nous ravit (Je reviens à cet égard et corrige le propos tenu dans l’enregistrement : c’est la présence du beau qui nous ravit, et non pas seulement de savoir qu’il existe. Présence, audition, vision, car la seule connaissance de son existence, le “savoir qu’il est” ne comble en réalité pas pas notre désir, ne suffit pas à notre plénitude ; nous avons, même pour le beau, envie d’autre chose que d’une connaissance ; notre désir n’est pas seulement désir que cela soit, il est aussi désir de connaître, désir de présence, même sans toucher. Au demeurant, Simone Weil emploie elle-même le verbe désirer qui implique une volonté en oeuvre et qui ne se conçoit pas dans un sens entièrement passif.)

Mais dans un autre chapitre, Simone Weil écrit à peu près la même chose à propos de l’amour entre les êtres : “Aimer purement – écrit-elle – c’est consentir à la distance, c’est adorer la distance entre soi et ce qu’on aime.”.

Il y a, au fur et à mesure qu’on avance dans ces mots, un glissement de sens. Consentir à la distance, oui. L’adorer ; cela dépend de la façon dont on comprend le terme. La distance, ce peut être ce dont parle Michel Serres dans l’Art des ponts, ce respect de l’autre qui conduit à l’aimer sans vouloir le posséder comme on le ferait d’une chose ; cette distance là est une autre manière de parler de la chasteté. Mais cette distance là n’a rien à voir avec la distance physique, avec l’éloignement.

Toute la difficulté et la beauté de l’amour sont là : dans cette tension perpétuelle, qu’il faut maintenir et construire, entre la distance et la proximité. Construire un pont, qui à la fois relie et laisse la distinction.

Aldor Écrit par :

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