Parmi les Récits hassidiques que Martin Buber a collectés, figure celui-ci :
Quelqu’un posait la question à Rabbi Bounam : « N’est-ce pas d’une malédiction bien étrange que Dieu a frappé le serpent en lui disant : « Tu mangeras la poussière » ? En le douant d’une nature telle qu’il puisse se nourrir de cela, Dieu lui a plutôt accordé une bénédiction, ce me semble, qu’il puisse trouver partout ce dont il a besoin pour vivre. »
Rabbi Bounam lui répondit : « A l’homme, Dieu a dit : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage » ; et quand il vient à manquer du nécessaire, qu’il prie Dieu et l’appelle à son secours. A la femme, Dieu a dit : « Tu enfanteras dans les douleurs », et quand vient l’heure où elle ne peut plus les supporter, qu’elle prie Dieu pour sa délivrance. L’un et l’autre restent par là liés à Dieu et peuvent le trouver. Mais au serpent par contre, lui qui fut à l’origine du Mal, Dieu donne tout son nécessaire, afin qu’il n’ait à Lui demander rien et ne puisse lui adresser nulle prière. C’est aussi ce que fait Dieu, parfois, avec les méchants, qu’il comble des richesses de ce monde ».
La chute est extraordinaire. Une sorte de manifeste anti-weberien : être comblé, cela peut paraître bon et agréable – cela est agréable et peut paraître bon – mais ça ne l’est pas forcément. Parce que qui est comblé, satisfait, rempli et rond comme une boule, n’attend rien, n’espère rien, n’a pas de porte des étoiles qui l’appelle et l’attire et lui parle d’autre chose, ni même d’étoile tout court vers laquelle il tournerait ses regards. Le riche, le puissant, le satisfait est englué dans le monde.
Porter à son flanc une plaie, ressentir l’attirance d’autre chose et subir la douleur ou l’insatisfaction du manque, c’est avoir une chance d’avancer. C’est toujours cette histoire de Tsimtsoum, de décréation, comme dit Simone Weil, de vide qui permet à la roue de tourner. Il faut, pour se décoller du confort de la fange dans laquelle le Robinson de Michel Tournier s’apprête à sombrer, quelque chose qui laisse insatisfait. Ce peut être une douleur, ce peut être un manque ; ce peut être aussi peut-être la fluidité de l’insaisissable : l’amour, quand il est dirigé vers une vraie personne que jamais vraiment on ne saisit et dont l’altérité demeure toujours respectée, toujours irréductible, a cette faculté aussi d’ouvrir en grand sur autre chose.
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la douleur ou l’insatisfaction peuvent tout aussi bien galvaniser qu’abattre……et ceux qui ont tout peuvent aussi trouver satisfaction dans le partage……..dans les cas, ce sont les réactions de l’être humain face à ce qu’il vit qui change la donne…..
L’exil. 🙂 Merci pour ce partage, Aldor !
[…] guère. La pensée de Rodin est celle qu’on retrouve dans l’idée de Tsimtsoum, dans la décréation chère à Simone Weil, l’idée encore qu’exprime François Cheng dans la première des Cinq méditations sur […]