Les mots, parfois, sont trompeurs, et revêtent des apparences qui trahissent la réalité qu’ils recouvrent. Ainsi, du pur et de l’impur.
On peut croire, à entendre ces mots ou à les voir écrits sur le dos d’une feuille, qu’ils désignent des choses similaires, analogues, de nature identique, symétriques. Or, rien de plus asymétrique que le pur et l’impur. Car il suffit d’une goutte, d’un chouïa, d’un presque rien d’impur pour que le pur devienne impur ; alors qu’une fois le pur devenu impur, on aura beau y déverser des tombereaux de pur, jamais il ne reviendra à sa pureté originelle pour l’atteinte de laquelle il faut quelque chose de plus radical, qui est de l’ordre de la confession ou de la rédemption. Il n’est rien de plus facile, de plus entropique, de plus irrémédiable, que de rendre le pur impur alors que le mouvement contraire implique un quasi-miracle.
Cette asymétrie entre pur et impur se retrouve dans d’autres oppositions : le propre et le sale par exemple : il suffit d’une tache infime de sale pour que le propre devienne sale, alors que le contraire, jamais, ne se produit, sinon dans les processus magiques de la repentance et du salut. Mais on ne la retrouve pas dans l’opposition du noir et du blanc ou dans celle du chaud et du froid : dans ces oppositions là, les choses peuvent se mêler, s’embrasser, se diluer, sans que l’un des deux termes ne paraisse l’emporter sur l’autre.
Et puis il y a des oppositions dont on ne sait pas forcément très bien dans quel genre elles se classent : suffit-il d’une petite laideur pour que le beau devienne laid ? D’une petite méchanceté pour que la bonté devienne méchanceté ou le contraire ? D’un peu de mal distillé au milieu d’un bien donné pour que ce bien devienne mal ? Certains pensent que oui ; d’autres que non, et on a le sentiment que c’est ailleurs, dans l’intention plus que dans la quantité et la présence sans doute, que réside ce qui donne son vrai sens, sa vraie coloration à ces choses là…
L’intention. Peut-être est-ce en elle que l’opposition du pur et de l’impur se manifeste avec le plus de force, le plus d’importance. Qu’une once d’intérêt se mêle à l’intention et celle-ci en est irrémédiablement abîmée et trahie. Salie et à jamais maculée comme la clé d’or de la demeure de Barbe Bleue.
Car il n’y a rien de plus fragile, de plus délicat, de plus bouleversant que la pureté de l’intention.
J’adore ce billet ! C’est tellement vrai ce que tu dis de l’irréversibilité d’une action par rapport à l’autre, dans certains antagonismes …l’impur trouble le pur, Mais le pur ne peut rendre l’impur pur.
C’est confondant de vérité.
Merci Aldor pour cette démonstration brillante.
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Dans ce que tu dis de la pureté de l’intention se joue aussi un point crucial à mon avis : celui de la sincérité. Que nos intentions ne soient pas toujours pures, soit. Chacun de nous est faillible, sans pour autant en devenir forcément coupable. Mais le fait d’entacher notre intention d’intérêt comporte pour moi un autre enjeu que l’enjeu moral seul : cela met en cause notre sincérité, notre rapport à la “vérité”. Si on décide de corroder notre sincérité , le mensonge qu’on se fait à soi-même/aux autres aboutit in fine à ce qu’on ne sait plus à quoi ni à qui s’en tenir. A l’ère du “fake” et des “fake news”, c’est d’autant plus grave, parce que le mensonge fait que tout s’écroule, plus rien ne tient. Enjeu social et…crucial.
Je suis entièrement d’accord avec toi, Esther : nous pouvons avoir des intentions mêlées mais il faut alors qu’à la pureté perdue se substitue la transparence (qui serait une sorte de dérivée de la pureté ?).
La transparence ? Je ne sais pas trop… ne serait-ce que parce que même si nous cherchons à être transparents, ce que nous disons est toujours passible d’être interprété 🙂 En revanche, je crois que rechercher la sincérité dans nos paroles et nos actes (comme tu le fais !) est un mouvement intérieur à porter… en se détachant de ce que peuvent en comprendre ou en interpréter les autres. C’est ce qui nous tient droits, je crois 🙂 Quant à savoir si autrui décode cette sincérité, la sent au-delà de nos mots et de nos actes…
Pour finir, je crois profondément comme toi que cette histoire de désintéressement et de sincérité est une histoire de morale, voire de morale intérieure… comme le suggérait Kant, que je retrouve avec plaisir dans ce débat grâce à tes questions ! 🙂
Tant que l’innocence prévaut, la pureté est infinie ! La sincérité, la blancheur, la pureté, ne se rencontrent que dans l’innocence. Rien ne fausse la pureté comme les calculs égoïstes et superfétatoires.Et pour finir j’aime cette expression : Pur comme le lys ! ( elle symbolise tellement la pureté)
Cela me fait penser au principe du Tao, le yin et le yang, ce principe d’harmonie qui se joue sur l’interdépendance entre la notion d’équilibre du bien et du mal (pour simplifier). Le symbole lui-même du Tao l’exprime bien. Un peu de noir dans le blanc, un peu de blanc dans le noir. Cette asymétrie entre pur et impur dont tu parles se retrouve là aussi.