Discussions qui n’en finissent pas avec Katia sur l’altruisme et l’égoïsme, Eros et Agapé. Et puis ce tout petit passage, trouvé dans la Lettre à un otage d’Antoine de Saint-Exupéry, qui exprime exactement ce que je ressens :
Quelle merveille que ce télégramme qui vous bouscule, vous fait lever au milieu de la nuit, vous pousse vers la gare : “Accours ! J’ai besoin de toi !“
Tout est dit dans ce “J’ai besoin de toi.” (où le “toi” est beaucoup plus important que le “besoin“). Ce que nous aimons le plus – moi certainement mais je pense que c’est le cas de tout le monde – c’est donner mais donner ce qui nous est propre, ce qui est spécifiquement attendu de nous, que cette attente soit explicite ou pas – ce qui nous désigne en tant qu’individu particulier. Donner, donner tout mais en tant que nous.
C’est souvent ce qui est au cœur de la relation parentale : nos enfants attendent de nous ce que nous sommes les seuls à pouvoir leur donner et qu’à force d’expérience et de confiance ils connaissent (ou devraient connaître – je sais) : aide, soutien, amour, respect, bienveillance.
C’est cela qui explique la satisfaction éprouvée par l’artisan ou l’artiste : ce qui est attendu de lui et de son travail, c’est une qualité, un style, une façon, un tour de main spécifiques qui rendent ses œuvres inimitables. Au-delà, c’est souvent ce qui peut s’instaurer dans une relation de travail : sont appréciés les cours de tel professeur, le diagnostic de tel médecin, la sagesse de tel conseiller, l’équité de tel juge, le sérieux ou la rigueur de tel salarié, etc. : dans tous ces cas, c’est une compétence particulière, portée par un individu particulier, qui est reconnue, et cela est très satisfaisant.
Et puis il y a évidemment l’amitié et l’amour, dans lesquels c’est la personne même de l’autre qui, à des degrés divers, est recherchée.
A l’autre extrême, il y a la prostitution. Dans la prostitution, ce qui est recherché – ou plutôt ce qui est échangé car c’est souvent beaucoup plus qui est recherché – est anonyme : d’un côté un corps, et plus précisément un sexe, qui est celui-ci mais qui pourrait être celui de n’importe qui ; et de l’autre, de l’argent, qui est celui-ci mais que n’importe qui pourrait donner. On est dans un échange de biens anonymes.
Et pourtant la prostitution mime – ou singe – la relation la moins anonyme et la plus spécifique qui soit, celle dans laquelle ce qui est attendu de l’autre est qu’il soit ce qu’il est, et qu’il est seul dans l’univers à être. Dans la prostitution, la spécificité de l’individu est réduite à néant : ce qui est attendu de nous et ce qu’on donne, c’est justement ce que tout le monde pourrait donner : l’être est instrumentalisé, nié en tant qu’individu, prolétarisé, pour reprendre une analyse marxiste qui paraît assez bien adaptée.
Dans l’amitié, c’est l’autre qui est attendu, mais pas forcément dans sa totalité : l’ami est celui ou celle avec lequel on fait ceci ou cela, à tel moment et pas forcément à tel autre ; c’est une facette, un pan, qui est recherché. L’amour, lui, est total : c’est l’autre dans sa totalité, défauts compris, qui est recherché, parce que c’est cette combinaison là, unique, et non pas telle ou telle facette, qui résonne en nous et nous émeut.
Mais dans un cas comme dans l’autre, ce qui nous ravit c’est d’avoir été choisi. C’est qu’on attende de nous quelque chose en tant que nous sommes nous, que cette demande nous soit adressée à nous : “Accours ! j’ai besoin de toi !”. Il n’y a rien de plus émouvant qu’une telle demande et à qui nous la fait, reconnaissant qui nous sommes, nous donnerons tout.
Voilà un beau débat philo à souhait ! Tout est possible et dépend de notre histoire personnelle. Certains diraient : ” je ne suis pas à la hauteur ” et se carapateraient ! Belle journée
Peut-être as-tu raison, Catherine, et certain(e)s peuvent-ils s’effrayer de cela…
🤗😃
Oui : Tout est dit dans “J’ai besoin de toi.”…. C’est le toi qu’il faut entendre plus que le besoin
Oui, Amélie. Antoine de Saint-Exupéry a su tout dire en quelques mots. Et c’est le “toi” qui porte le sens principal.