« On ne peut pas juger les hommes par ce qu’ils font quand ils enlèvent leur pantalon. Pour leurs vraies saloperies, ils s’habillent. » – déclare Minna dans Les racines du ciel, de Romain Gary.
Je songeais à cette formule en regardant La Chute, ce film qui retrace les derniers jours d’Adolphe Hitler dans son bunker de Berlin, dans lequel on voit notamment les époux Goebbels assassiner, de sang froid, leurs six enfants, pour éviter à ceux-ci d’avoir à vivre dans un monde où le national-socialisme serait absent.
Quand il est nu, l’homme n’est que ce qu’il est, un petit animal faible dont les désirs et les moyens sont limités. Privé de tout – par la faute d’Epiméthée dit la mythologie – il ne peut survivre qu’en se fabriquant des vêtements, qu’en se dépassant, qu’en transgressant – ce que certains appellent la Chute hors du Jardin d’Eden. Cette transgression est consubstantielle à sa nature ; elle est sa nature même.
Mais ce dépassement, qui permet à l’homme de se vêtir, de bâtir, de survivre, de prendre ses distances d’avec le reste de la création, est aussi, justement la chute et l’occasion de la chute : quand l’homme est nu, il ne va pas très loin. Ni dans le bien, ni dans le mal. Mais qu’il s’habille, qu’il revête un uniforme, une idéologie, une règle, une morale, une religion, un devoir, et il deviendra alors capable du pire – comme du meilleur.
Pour ses vraies saloperies, l’homme s’habille, comme le remarque fort justement Minna. Les grands massacreurs de la Saint-Barthélemy, les juges des tribunaux révolutionnaires et ceux de l’Inquisition, les dignitaires Khmers rouges, les SS vêtus de noir, les gardiens de la morale qui exécutent et tranchent les têtes – tous sont revêtus d’un uniforme qui recouvre leur nudité. Ça n’est pas en tant qu’hommes qu’ils agissent, c’est en tant que bras de quelque chose de plus grand – du moins le croient-ils, comme me l’a fait justement remarquer carnetsparesseux.
Et par cette vibration particulière, ce renversement continuel des choses essentielles, c’est ce même instinct de dépassement qui précipite l’homme vers le mal et les enfers qui lui permet de se grandir et d’atteindre aux étoiles.
Et c’est souvent pour avoir voulu toucher les étoiles que l’homme tombe.
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« Ça n’est pas en tant qu’hommes qu’ils agissent, c’est en tant que bras de quelque chose de plus grand. » je dirais plutôt « c’est en tant que se rêvant bras de quelque chose qu’ils imaginent, qu’ils espèrent, plus grand qu’eux (donc conscient et souffrant de leur petitesse ; ce qui est bien bête, car petit par rapport à quoi ? ; tout est question d’échelle) ».
Oui. Tu as absolument raison.
pas si sûr… il y a beaucoup à réfléchir dans ce que tu écris et dis. Merci !!