Le désir et la grâce

Dans le livre que m’a offert François pour mon anniversaire, il est dit d’un guide de haute montagne : « Il est plein d’une absence de désir. »

C’est l’effet que me font les médecins de famille, ces personnes calmes et pleines de rassurance qu’on pourrait croire n’être touchées par aucun manque, aucune absence, aucun désir.

Je songeais à cela ce matin, tandis que je tournais autour du Luxembourg, guettant, comme un papillon les phéromones des papillones, la grâce des femmes qui couraient devant moi : la grâce, qui saisit et bouleverse, est tout le contraire du charme plein des guides de haute montagne, des médecins de famille et des gourous. La grâce est la conscience d’un manque – ou plutôt d’un inachèvement.

Il peut y avoir du charme à la rondeur, à la stabilité, à la force gravitationnelle qui émane des corps et des âmes solides et bien assis. J’ai l’impression parfois que celle que j’aime est nostalgique de cette pesanteur paysanne que je peux si peu lui offrir. Mais la grâce est tout autre. La grâce est légère, dynamique, virevoltante, désirante.

La grâce est éphémère. Elle est une esquisse, un instant, un rayon, une beauté en fuyance, et la conscience, attristée et émerveillée à la fois, qu’on en prend. C’est évident dans le cas d’un sourire mais c’est vrai aussi dans le cas d’un corps ou d’une pensée. La grâce est dans le mouvement, dans la fugacité de ces muscles qu’on voit saillir, de ces pensées qu’on voit surgir, de ces mots qui coulent et qu’on boit, de ces cheveux qui s’agitent, de ces mille gestes qui embellissent le monde, et dont on se rend soudain compte que bientôt ils finiront car le temps rend toutes choses fragiles. Et la grâce est aussi le déchirement de cette révélation.

La grâce est dans l’inachèvement, le mouvement, l’envol ; elle est ce qui n’est jamais plein, ni comblé, mais toujours dans le flux, le fluide et la vie. Dans le geste de la danse. C’est pourquoi elle est désir et peut-être même un autre nom du désir.

Là est peut-être d’ailleurs aussi ce qui nous appelle et nous attire tant dans la grâce : l’espoir, plein de vanité, que nous pouvons avoir, de combler ce manque, d’achever cet inachèvement.

De cela aussi l’aimée m’avait un jour parlé.


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