Instrumentalisation du drame et profiteurs de guerre


J’avais cet après-midi quelque chose à reprocher à mon fils car il n’avait pas fait une chose que je lui avais demandée. Et, dans mon irritation, l’idée m’est venue d’ajouter à mes remontrances un argument mettant en scène la crise sanitaire, quelque chose comme : “en plus, avec l’épidémie, ce serait plus prudent”. Et puis, heureusement, je me suis ravisé, saisissant toute la mauvaise foi qu’il y aurait eu à invoquer le drame que nous traversons pour justifier une demande qui n’avait au fond aucun lien avec ce drame.

Je me suis ravisé mais la tentation avait été forte. Et je suis désolé de voir à quel  point sont nombreux ceux qui, aujourd’hui cèdent à cette tentation, invoquant l’épidémie et l’instrumentalisant, sans la moindre vergogne, pour défendre des causes sans rapport avec elle.

Ainsi, ce matin, une sorte de manifeste contre les ondes et la 5G qui, au lieu d’énoncer tous les bons arguments – ils sont pléthore ! – qu’on peut avoir contre la 5G, laisse entendre que son déploiement est peut-être une des causes du coronavirus, comme la grippe espagnole est peut-être fille de l’introduction des ondes radio.

Ainsi, tous ces lobbies qui, de façon obscène, mettent en avant le drame sanitaire sur l’air du “Je vous l’avais bien dit” ou du “Tirons les leçons” pour en définitive vendre leur même camelote idéologique ou mercantile sans lien aucun avec l’épidémie : de simples profiteurs de guerre !

Ainsi aussi, tous ces propos qu’on entend ou qu’on lit et qui font le lien entre le nombre de morts du coronavirus en France et la baisse du nombre de lits d’hôpitaux, comme si leurs auteurs ne savaient pas que la mortalité du coronavirus est fonction non pas du nombre de lits mais du nombre de lits en soins intensifs et que ce nombre n’a jamais jamais jamais été au niveau suffisant pour affronter la vague actuelle ! Et donc : bien sûr que la baisse du nombre de lits d’hôpitaux est regrettable, comme est regrettable la baisse des dépenses de santé, comme est regrettable le mépris que nos dirigeants portent aux infirmières, aux instituteurs, aux postiers, et à tous ces modestes qu’on a si longtemps oubliés. Mais cela n’a rien à voir avec la crise sanitaire et c’est être de mauvaise foi que de le laisser entendre, sinon même de le prétendre.

Il y a tant de choses vraies à dire, tant de justes combats à mener, tant de réelles et profondes leçons à tirer de ce que nous vivons ! Tant de critiques à énoncer, de politiques à détruire et à réformer ! Le monde est tellement et si profondément à refaire ! Mais pourquoi mettre au service de ce combat des arguments faux ? Pourquoi ceux qui le font ne peuvent-ils s’en empêcher ? Comment ne voient-ils pas qu’en agissant ainsi, ils sapent la cause qu’ils prétendent défendre et agissent de façon indigne ?

Il faut, quand on défend un juste combat, se retenir de céder à la tentation de la mauvaise foi, se retenir d’instrumentaliser les drames et les émotions pour servir des causes qui n’ont rien à voir avec ces drames.

Il faut se refuser à la facilité de la mauvaise foi et à l’indignité des profiteurs de guerre.



PS : Il ne s’agit évidemment pas de s’interdire de parler de la crise sanitaire ou d’en tirer les leçons. Cela est tout à fait salutaire lorsqu’on le fait à bon escient. Il y a par exemple ce texte de Coline Serreau qui me paraît très juste :

 https://www.lesnouvellesnews.fr/message-de-coline-serreau-pour-remettre-les-idees-a-lendroit/

Aldor Écrit par :

10 Comments

  1. celestine
    1 avril 2020
    Reply

    Les défenseurs de l’écologie ne sont pas des vendeurs de camelote idéologique. Ça fait 50 ans que les scientifiques mettent en garde l’humanité contre la surexploitation des richesses naturelles, la pollution, le massacre de la biodiversité et j’en passe.
    Aujourd’hui, je suis d’accord avec eux pour dire que ce virus s’est propagé à la vitesse grand V à cause de la mondialisation, et que sa gestion entre en conflit avec les intérêts économiques, puisqu’il oblige à arrêter la suractivité capitaliste.
    Ce n’est pas profiter de la crise que de l’admettre. C’est juste inciter les gens à faire le lien entre la façon dont les scientifiques ont été écoutés pour le virus, et celle dont ils devraient être écouté pour la catastrophe climatique. Dans les deux cas, la santé de millions de gens est en jeu, pour ne pas dire de toute l’humanité.
    A fond d’accord avec Coline Serreau.
    Bisous
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 1 avril 2020
      Reply

      Mais ce n’était évidemment ni des ecologistes sérieux, ni des adversaires en soi de la 5G, ni de Coline Serreau que je parlais, Célestine. Bien sûr qu’il y a un rapport entre la crise et la surexploitation du monde et de ses ressources. Bien sur qu’il faut arrêter tout cela et changer de système ! Ce n’était certes pas mon point !

      Mon point concernait ceux qui disent (car il y en a) que le coronavirus découle du lancement de la 5G, ou que s’il n’y a pas assez de respirateurs, c’est parce que les lits d’hôpitaux ont été diminués de 20%.

      Qu’on dise que la sortie du virus vient de la surexploitation des espaces naturels, mais oui, absolument. Qu’on dise que la baisse continue des dépenses sociales est une aberration, je suis entièrement d’accord. Quon dise qu’il y a un lien entre la vitesse de propagation du virus et une division internationale du travail devenue stupide, j’applaudis.

      Mais n’utilisons pas des arguments faux. On ne fait rien de bon avec des arguments faux.

      Et encore une fois, Coline Serreau, je la trouve très bien. C’est bien ce que je dis, non ?

  2. COMBY
    2 avril 2020
    Reply

    Du coup pour compléter je vous mets le lien d’un article qui reprend votre idée de départ et qui a le mérite aussi de dire les choses !
    Bien à vous et merci encore pour vos textes.
    Christophe
    https://www.contrepoints.org/2020/04/02/368002-covid-19-la-mondialisation-nest-pas-coupable?utm_source=Newsletter+Contrepoints&utm_campaign=a22e51882a-Newsletter_auto_Mailchimp&utm_medium=email&utm_term=0_865f2d37b0-a22e51882a-114212361&mc_cid=a22e51882a&mc_eid=f96ac639d3

    • 2 avril 2020
      Reply

      Merci, Christophe : Contrepoints ? Pourquoi pas, apres tout !

  3. COMBY
    2 avril 2020
    Reply

    Bonjour,
    Tout à fait en phase avec votre démonstration sur le fait que les vendeurs de soupe de tout poil profitent de cette triste situation pour imposer leurs vues ou faire passer leurs idées néfastes.
    Mais alors quelle surprise de voir ce texte de Coline Serreau complètement dans le sens de ce que vous dénoncer avec brio !
    Je suis excédé par cette façon de donner des leçons aux autres, a fortiori en n’étant pas de la partie.
    Parler de l’agriculture en accusant les « méchants gros contre les gentils petits »… quelle tristesse de la part de quelqu’un ayant au demeurant du talent… mais uniquement dans son domaine en tout cas!
    Je ne suis pas pour ma par un spécialiste du cinéma ou de la production, mais de quel droit irai-je donner des leçons à cette profession! En revanche je connais très bien l’agriculture et le monde agricole pour y avoir travaillé pendant 4ans, et entendre ce discours stupide prônant la décroissance et le retour en arrière l’enfermement sur soi, alors que les solutions se trouvent dans l’avenir , la science, les nouvelles technologies, les échanges et la coopération… ça me désespère !
    Enfants gâtés dans un pays privilégié et à l’abri de tout…
    Voilà pour le coup de gueule mais merci pour vos textes !

    • 2 avril 2020
      Reply

      Ah ! Je ne suis pas tout à fait d’accord. Ou vous m’avez mal compris : on peut bien sûr se tromper sur l’analyse ou le diagnostic de la crise mais mon point n’était pas là : qu’on se trompe, c’est dommage mais c’est humain. Mon point était plutôt moral : ce qui est détestable, c’est de se servir de la crise pour défendre des idées quand on sait qu’en fait il n’y a aucun rapport.

      Coline Serreau dit : profitons du coup d’arrêt donné au monde par la crise pour repartir sur d’autres bases, dans l’agriculture comme ailleurs. On peut être d’accord ou non avec elle (je le suis) mais elle n’instrumente pas la crise. Elle ne dit pas : c’est l’agriculture industrielle qui a causé la crise

      Et là était vraiment mon point. Non pas dans les diagnostics ou les solutions mais dans l’instrumentalisation.

      Quant à l’agriculture, je pense que sa modernisation a permis d’immenses choses mais que, dans l’élevage notamment, elle est devenue quelque chose de terrible : l’industrialisation de l’élevage conduit à un irrespect du vivant qui est moralement indéfendable et sanitairement dangereux.

      Mais là, encore une fois, n’était pas mon propos.

      Merci en tous les cas de votre visite attentive.

  4. celestine
    4 avril 2020
    Reply

    Nous sommes d’accord alors !
    Bisous Cher Aldor

  5. Comby
    8 avril 2020
    Reply

    Concernant Contrepoints. pourquoi ce point d’interrogation et ce “pourquoi pas”…? Est ce que ce média indépendant et impertinent vous dérange? J’aime pour ma part avoir des avis qui sortent des chemins battus et qui ne sont pas inféodés à la pensée unique et au diktat des lobbies écologistes.
    Christophe

    • 8 avril 2020
      Reply

      Oh ! Effectivement, les bonnes idées sont bonnes a prendre, d’où qu’elles viennent.

      C’était le sens de mon propos.

  6. Comby
    8 avril 2020
    Reply

    Je ne partage pas votre point de vue concernant le texte de Coline Serreau. Pour moi elle est justement dans cette posture de ce servir de cette tragédie pour asséner ses vérités.
    Concernant l’agriculture (c’est 44 ans que j’ai travaillé dans ce domaine et non 4 ans comme je l’ai indiqué par erreur), que je connais bien, je ne reconnais absolument pas la réalité du monde agricole en France, dans les propos de Coline Serreau (ou dans les vôtres concernant l’élevage).
    Néanmoins comme dans tous les métiers, il y a des exceptions et des personnes qui ne se comportent pas correctement et même s’ils font beaucoup de bruit ils sont rares.
    Il se trouve que mon premier métier était berger et que j’y ai appris ce que recouvrait la notion d’écologie grâce aux agriculteurs fiers d’être paysan (dans les campagnes contrairement à ce que dit Mme Serreau, à aucun moment je n’ai entendu que ce mot était une insulte mais bien plutôt une fierté). Les exploitants agricoles grâce à qui nous mangeons à notre faim des produits diversifiés de grande qualité qui n’ont jamais été aussi sains, sont les vrais écologistes. Il sont le lien entre l’homme et la nature et n’opposent pas l’un à l’autre. Ils cherchent et construisent l’harmonie avec la réalité naturelle qui les entourent, bien loin c’est vrai de celle vécue dans les beaux quartiers des grandes métropoles.
    Grâce à eux, les famines et la malnutrition ont fortement reculé dans le monde même si celles-ci persistent essentiellement dans les zones de guerre et de conflits qui perdurent.
    Faire croire qu’il faudrait revenir en arrière (comme autrefois!) ou convertir l’agriculture en “bio”, est non seulement une ineptie mais une position criminelle tant les équilibres alimentaires mondiaux sont fragiles (qui se souvient des émeutes de la faim en 2007 qui ont été par ailleurs le prélude aux
    “printemps arabes”?… elles faisaient suite à une succession d’années à récoltes moyenne dans de nombreux pays et le déclencheur a été une récolte Australienne particulièrement mauvaise du fait de la sécheresse qui a déclenché une flambée des prix du blé dans le monde pendant plusieurs années).
    Je vais m’arrêter là car je pourrai continuer pendant des heures et des jours tant ce sujet me tient à coeur.
    Christophe.

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