Rue des Écoles, en face de la Sorbonne, Montaigne trône, les jambes croisées. À Montmartre, sur la place qui porte son nom, Dalida regarde le monde passer.
L’habitude (et la superstition) se sont installées de toucher ces statues de bronze, de les caresser car cela porterait chance. Et ont été pour cela choisis les seins de Dalida et les chaussures de Montaigne, qui brillent d’or aujourd’hui dans la patine du bronze.
Cette irruption du toucher, du charnel, du magique, dans la relation difficile que nous entretenons avec les morts, comme ces pierres qu’on dépose parfois sur leur tombe pour signifier qu’on est passé par là et que d’eux, on s’est souvenu, ne me choque en rien, au contraire.
Mais comment ne pas souligner la connotation très différente des parties du corps touchées dans l’un et l’autre cas ? Les seins de Dalida et les pieds de Montaigne, cela résume assez bien, malgré le contre-exemple du gisant de Victor Lenoir au cimetière du Père Lachaise, le regard différent que nous jetons sur les femmes et les hommes, l’importance différente que nous attachons à leur corps et, dans leur corps, à leurs attributs sexuels. Oui, décidément, même après leur mort, les femmes sont plus assignées à leur corps que ne le sont les hommes.
En l’occurrence, toutefois, j’aime bien ce qui, dans chacun, fut choisi, pour rendre hommage au Montaigne voyageur et à la Dalida amoureuse.
Je sais que certains voient, dans la caresse laissée sur les seins de Dalida, un manque de respect. Je comprends leur réaction. Certes, avec la Dalida vivante, on n’aurait pas agi ainsi, et heureusement ! Mais c’est d’un buste qu’il s’agit, d’une statue de métal. La Dalida, elle, est morte et enterrée. Et que, de ce personnage devenu poussière, on se souvienne surtout de l’amour, souvent malheureux, qu’il porta, de tout son corps, aux hommes, cela me paraît au fond plus sincère et bienveillant qu’irrespectueux et déplacé.
Plus juste et plus sage.
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