Assignation


Un nouvel équipement industriel a été inauguré et, sur la photo postée sur les réseaux sociaux à l’occasion de l’événement, n’apparaissent que des hommes, alors même que, sur ce projet notamment, des femmes ont joué un rôle très important.

Beaucoup ont réagi pour marquer leur étonnement devant cette étrange facon de relater les choses, et c’est très bien.

Mais aussi légitime et saine que soit cette réaction (que j’assume), elle ne va pas jusqu’au bout du sujet, qui est plus compliqué qu’il n’en a l’air.

Il se trouve que je suis en train de lire Un corps à soi, de Camille Froidevaux-Metterie. De ce livre très intéressant, je suis loin de partager toutes les thèses. Il en est une, toutefois, qui me paraît à la réflexion incontestable, c’est celle selon laquelle, depuis des temps anciens et dans les sociétés les plus diverses, les femmes sont beaucoup beaucoup plus que les hommes, assignées à leur corps. On (hommes et femmes) tient beaucoup plus compte de leur corps qu’on ne tient compte du corps des hommes dans des situations comparables : on y prête attention, on le regarde, on le juge, on l’admire, on le rejette, la zone de neutralité (celle dans laquelle on se fiche essentiellement de l’apparence physique de la personne) étant beaucoup plus étroite dans le cas des femmes que dans celui des hommes. Pour faire bref : nous remarquons mais n’accordons qu’une importance secondaire au fait que tel ou tel homme soit ou non beau garçon, séduisant ou non, petit ou grand, bien mis ou mal habillé, soigné ou non dans sa coiffure ; ce sera en revanche souvent la principale chose qui nous frappera chez une femme.

Il s’ensuit que représenter des femmes, ou montrer des femmes et des hommes, n’est pas si neutre et ne va pas si de soi que ça. C’est toujours, en effet, prendre le risque de réveiller ou de faire la part belle à cette assignation des femmes à leur corps, si puissamment ancrée en nous.

Invisibiliser les femmes sous des voiles ou en ne les montrant pas n’est évidemment pas une solution. Mais croire qu’il suffirait de montrer également des femmes et des hommes pour construire une représentation égalitaire est également une erreur. Car l’asymétrie n’est pas seulement dans le nombre ou la visibilité, elle est aussi dans notre regard qui ne voit pas, ne perçoit pas la même chose chez un homme et chez une femme.

C’est ainsi. Il faut faire avec cette façon différente que nous avons de considérer le corps des femmes et celui des hommes. Mais il faut en tenir compte – ce que du reste nous faisons, tous (hommes et femmes), dans nos façons de nous comporter et de soigner notre apparence, qui reproduisent cette différence.

Et au fond (et personnellement), je crois que le problème est moins l’assignation des femmes à leur corps que le manque d’assignation des hommes au leur, l’absence d’intérêt et de valeur qu’ils lui portent. Car fondamentalement, nous n’avons pas un corps ; nous sommes notre corps ; notre corps est spirituel, aussi.

Aldor Écrit par :

8 Comments

  1. 15 octobre 2021
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    Passionnant (enfin! le mot est un peu fort…) Mais plus simplement intéressant!
    Et au fil de la lecture je découvre là, entre les lignes et les affirmations d’un point de vue général autant que personnel et particulier, je découvre là, une nouvelle clé de lecture de ce qui en moi est à ce point féminin, Je veux parler de l’assignation. Mais j’ai tellement d’explications que cette fenêtre réductrice et limitée n’y suffirait pas!
    En tous cas merci pour ce bel article sur ce blog que je découvre depuis “mesmoisenemois”….

    • 16 octobre 2021
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      Merci Étoiles. Oui, cette idée d’assignation est très intéressante (au sein d’un livre lui-même intéressant mais avec beaucoup de thèses que je trouve contestable – mais je vois ça depuis mon expérience masculine).

      • 16 octobre 2021
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        Les livres sont emplis de vérités et c’est ce qui nous apporte la nourriture , une des nourritures de nos existences. Ce texte m’apporte beaucoup en éclairages sur ce vécu de l’incarnation et de l’identité, ainsi que l’extrait de lecture en complément.

        Nous vivons une très belle période d’un cycle de l’humanité qui nous offre et nous propose la pleine réalisation de nos existences et celles de nos différentes lignées.

        Par ce fait, les thèses et les théories abondent et c’est véritablement à chacun-e de trouver ces aboutissements et accomplissements, les thèses et théories bien à leurs places, de thèses et de théories…,

        L’amour en ingrédient majeur par le fait entre autres choses de la sexualité en tant que donnée fondamentale de l’assignation. Ce qui reste très charnel, très concret….cérébral et corporel pour notre Réalité masculine et feminine,

        • 16 octobre 2021
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          Oui oui : pour les êtres que nous sommes : esprit et corps, l’amour et la sexualité sont centraux.

  2. […] jardin, et j’ai le sentiment de me retrouver participant de facon insidieuse à ce processus d’assignation des femmes que la lecture de Camille Froidevaux-Metterie m’avait fait découvrir il y a quelques […]

  3. […] correspondre à ce qui est attendu de nous, en tant qu’individu d’un sexe donné. Mais l’assignation au corps est bien moindre pour les hommes que pour les femmes et ici, c’est l’ensemble […]

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